« Dans un trou vivait un hobbit. » L’ouverture de ce roman fait partie des phrases les plus célèbres de la littérature, et les hobbits de Tolkien sont les plus connues de ses créations. Ils sont pourtant apparus dans un roman pour enfants (un récit que Tolkien avait élaboré pour les siens) qui n’était au départ rattaché qu’assez lâchement au reste de la grande œuvre légendaire.
Rappelons-en le propos : dans une agréable maison creusée dans une colline, un petit homme tranquille nommé Bilbo vit de ses rentes. Passe un magicien nommé Gandalf qui lui adresse des paroles mystérieuses et donne rendez-vous chez lui à une compagnie de treize nains barbus… Ceux-ci veulent reprendre le trésor volé à leurs pères par le dragon Smaug. Par fierté, par erreur, notre hobbit va se joindre à la compagnie en tant que « cambrioleur » (les hobbits savent être très discrets) et vivre au milieu d’une bande de bras cassés plutôt incompétents (à l’exception de leur chef, le noble Thorin Ecudechêne) des aventures folles qui lui feront mille fois regretter son confortable cottage campagnard.
L’auteur de ces lignes a découvert ce roman enfant et en gardait un formidable souvenir. Pour la première fois, un livre se révélait trop court ! Puis le temps a passé et il a pu le lire à ses propres enfants. La redécouverte n’a provoqué aucune déception : au-delà des péripéties du récit (qui comprennent nombre de grands moments, comme la traversée des souterrains des gobelins ou l’évasion du palais du roi des Elfes de la forêt, sans compter la rencontre avec Smaug, formidable créature), le style fait tout le charme du récit. Ecrit d’une façon légère et humoristique, prenant souvent le lecteur à partie, Bilbo le hobbit, loin du terrible pudding de Peter Jackson, est un roman gracieux et amusant alternant scènes comiques et aventures épiques. Les grands thèmes de Tolkien sont pourtant bien présents, notamment celui de la corruption — corruption de l’or, auquel presque aucun personnage n’échappe. La tonalité se fait d’ailleurs plus grave dans les derniers chapitres, une fois les Nains en possession de l’objet de leurs désirs… La fin du roman est épique et belle, le petit homme a mûri et personne n’est sorti inchangé de l’aventure.
Et c’est au cœur des ténèbres du chapitre 5 qu’apparaît le plus beau personnage de tout l’univers de la Terre du Milieu. Faible, sournois et visqueux, Gollum, hobbit déformé par le Mal, affronte Bilbo dans un jeu d’énigmes rappelant les scènes similaires des légendes nordiques. Ce passage pivot existait sous une forme différente — moins ambiguë — dans la première édition de 1937 du roman. Bloqué dans l’écriture du « Seigneur des Anneaux », Tolkien l’a réécrite et la scène modifiée que nous connaissons mieux est parue dans l’édition de 1951 — sur une initiative de l’éditeur ! Le roman n’étant autre que le récit qu’a écrit Bilbo à son retour de voyage, Tolkien a fini par indiquer que l’édition initiale correspondait à la première version du récit où Bilbo se donnait le beau rôle !
Bilbo le hobbit, ou la part d’enfance, d’humour et de fantaisie du légendaire tolkienien. Un moment de grâce.