Février 2006. Hollis, ex chanteuse du cultissime groupe Curfew, est engagée par Philip Rausch, responsable du journal Node. Le magazine, qui ne compte pour l'instant aucune parution, souhaiterait publier un papier sur le locative art, tendance esthétique actuelle rendue possible par l'usage détourné du GPS. Via une galeriste française, Odile, la journaliste, va faire la rencontre d'Alberto. Par projections coordonnées sur des prises de vues réelles, l'artiste géohacker met en scène ses créations, aussi bien le décès de River Phoenix qu'un cimetière de soldats morts en Irak, qui se complète de croix à mesure que le chiffre des pertes augmente. Ou un mémorial dédié à Helmut Newton, version contemporaine du happening seventies figurant dans le film Les yeux de Laura Mars. Pour y parvenir, Alberto compte sur Bobby Chombo, un musicien dans son genre, sorte de producteur DJ qui injecte l'œuvre dans le monde, réalise les créations virtuelles, si tant est que cette phrase ait du sens.
Au fil de son enquête, Hollis va découvrir qu'elle travaille en réalité pour le compte de Blue Ant, une firme aussi puissante que discrète, déjà au cœur du roman Identification des schémas. Son créateur, le magnat belge Hubertus Hendrik Bigend, se targue d'avoir la capacité de toujours engager la bonne personne pour un projet donné. Ainsi en allait-il déjà de Cayce, « chasseur de cool » dans le roman précédent. Bigend souhaiterait retrouver la trace d'un mystérieux container repéré en août 2003 par la CIA lors d'une opération spéciale. Or Chombo parvient périodiquement à le localiser …
Autant le dire tout de suite, la lecture de Code source est pénible. Voici un livre dont on ne sait jamais s'il s'agit d'un roman qui prend la forme d'une notice de montage, ou d'un manuel parsemé de « dit-il ». Dans tous les cas, il sanctionne un échec, celui de n'avoir pas su s'approprier l'après Identification des schémas, qui parvenait brillamment à annuler le cyberpunk. Rattrapé par ses propres prédictions, William Gibson ne peut se résigner à devenir écrivain du réel comme n'importe quel romancier mainstream, et se force donc à continuer d'écrire sur le réel. Après nous avoir montré que nous étions acteurs du spectacle, l'auteur décide de nous faire visiter les coulisses. Gibson révèle ses trucs à la façon d'un illusionniste en fin de carrière, démonte ses effets comme on le ferait d'un meuble forcément tendance, juste pour nous convaincre qu'il est toujours à l'avant-garde, comme on le dirait d'un éclaireur qui ne cesserait de se retourner pour être sûr que le gros des troupes suit. « Je suis le meilleur, continuez de me vénérer par pitié ! » semble-t-il dire à ses lecteurs bobos et leurs enfants Übergeeks. S'en suit un délayage qui ne nous épargne aucun poncif, y compris des réflexions rances sur le mode : notre réel n'est peut-être qu'une modélisation. Avec un concept identique, la Grille comme texture virtuelle recouvrant le réel, David Calvo et son Minuscules flocons de neige… parvenait à un résultat plus convaincant. Pour Gibson, le cyberspace n'était qu'une « perspective, une façon de visualiser notre destination. Et avec la grille, on y est ». Parlant de la « plateforme virale » qu'étaient les extraits du Film au cœur d'Identification des schémas, Hubertus Bigend avoue s'en être servi pour vendre des chaussures. William Gibson casse son jouet, avec une lucidité innocente ou un cynisme désinvolte.
Cela, pour le fond. La forme est une caricature, un « Savoir créer hype » pour atelier d'écriture otaku. Les personnages secondaires se plantent devant la vitrine du styliste Yohji Yamamoto, tripotent un iPod ou tombent en arrêt devant les artefacts signés Philippe Starck. Il ne leur arrive rien ou toujours la même chose, ce qui a un goût de vieux depuis Georges Perec ou le Nouveau roman. Gibson étale son vernis culturel, « l'idéal platonique d'un petit tapis oriental était projeté depuis le plafond », qui remplace l'authentique savoir ou le met à mal. Platon ? Non, il a dit exactement le contraire dans La République, à savoir qu'une représentation est le contraire d'un « idéal ». Pires sont les métaphores enquillées par l'auteur qui parvient à un style boursouflé et académique, quincaillerie d'images outrées faites pour montrer comment on rend le présent bizarre : « vent sauvage et aléatoire », ou « une voiture de police passa dans son propre courant d'air… » ; sans parler du ridicule : « Le pistolet que Brown portait sous sa parka, comme un bandage herniaire exotique en résine composite… » La traduction poussive n'arrange rien, qui accumule les répétitions : « … Hollis vit les palmiers de Sunset danser follement, comme une troupe de danse mimant les derniers sursauts d'une peste futuriste ». Et encore mieux : « Elle sortit le Powerbook de son sac, le sortit de la veille et essaya de caler l'écran ouvert contre la vitre ».
La prochaine étape consisterait pour Gibson à ne plus écrire, dans cette veine du moins. Ce dont l'auteur semble avoir pris conscience puisqu'il n'est maintenant jamais aussi bon que dans ses interviews.