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Les critiques de Bifrost

Critique parue en janvier 2012 dans Bifrost n° 65

Le monde humain de Lanmeur, qui a développé le voyage spatial, explore l’univers et découvre une étrange constante : de nombreuses planètes sont aussi peuplées d’humains. A cette particularité s’en ajoute une autre : les langues que parlent ces populations montrent des ressemblances, tout comme leurs cultures. Il n’en faut pas plus pour que naisse l’idée du Rassemblement qui doit regrouper sous une même bannière ce qui est peut-être une diaspora, ou peut-être tout autre chose. Mais au fil du temps, l’idéologie du Rassemblement évoluera. Contact, négoce, colonisation ou guerre, quel sera l’instrument de ce processus ?

Le cycle de Lanmeur comprend sept livres publiés par J’ai Lu sur une décennie, de 1984 à 1994. Il s’agit d’une œuvre ambitieuse, ouverte et encore en devenir. Les éditions Ad Astra prévoient de le rééditer en trois volumes, dont le premier, et sans doute le plus imposant, comporte trois romans enrichis d’un matériau dont on reparlera.

Ti-harnog, qui ouvre cette série, définit le cadre. Twern, un Contacteur, vient d’arriver sur la planète éponyme après un voyage de plusieurs dizaines d’années en hibernation, quand sa navette se trouve détruite. Il survit, nanti du minimum vital, dont une balise pour envoyer ses rapports, mais dépourvu des connaissances locales qu’auraient dû lui apporter ses « abeilles », minisondes d’observation désormais perdues. C’est mal préparé qu’il va devoir affron-ter un monde nouveau, organisé en castes, préindustriel, dont les humains présentent une particularité biologique qui le marque irrémédiablement comme étranger. Pourtant, aidé de Talhael le Conteur, Twern, bientôt désigné comme Visiteur, va parvenir tant bien que mal à s’intégrer, au prix de maintes pérégrinations, d’une guerre, et d’une découverte qui jettera un voile sur les méthodes de Lanmeur.

Avec L’Homme qui tua l’hiver, il n’est plus question de simple contact, car, sur Nédim, il y a d’ores et déjà une colonie lanmeurienne, qui coexiste avec les indigènes dans un climat, au sens propre comme au figuré, plutôt difficile. Sous ces conditions, Akrèn parviendra-t-elle à achever la mission qui l’amène, soit exhumer des glaces l’antique cité de Glogeth et percer ses mystères ? Son guide qui prétend tuer l’hiver pour ramener le printemps n’est-il qu’un illuminé, ou la nouvelle incarnation d’un héros mythique ?

Jusqu’à présent, on adoptait le point de vue lanmeurien, mais Mille fois mille fleuves renverse la perspective. Ynis coule des jours paisibles quand, insigne honneur, elle est choisie pour épouser le Finllion, l’un des nombreux cours d’eau qui irriguent son monde. Mais voilà que Vieux Saumon, dans sa dernière incarnation en date, la convoque, car il désire que « chaque fleuve lui remette le meilleur de lui-même ». Les temps changent, il faut gagner la Cité Secrète, mais ce sera l’occasion pour Ynis de découvrir qui sont ces « hommes oiseaux » au bénéfice desquels ce tribut semble organisé… quitte à trahir son fluvial époux en tombant amoureuse de l’un d’eux.

Christian Léourier est l’un des secrets les mieux gardés de la SF française. Discret, rare, peu présent dans le milieu, il a pourtant bâti un corpus plus que respectable. La quatrième de couverture de ce pavé (impri-mé peut-être un rien trop petit pour un confort de lecture optimal, mais il faut avouer qu’il y a de la matière) invoque Vance et Asimov, mais je lui trouve, pour ma part, d’autres cousinages. Avec Ursula Le Guin d’abord, qui, dans sa saga de l’Ekumen, brasse des préoccupations semblables : l’écologie, la recherche de l’autre, la diversité biologique et culturelle. Avec Poul Anderson ensuite, du fait de l’influence celtique notable qui imprègne ce cycle et du motif de la mise en présence, et de la confrontation, de civilisations qu’un abîme tant idéologique que technologique sépare. Avec Iain M. Banks enfin, car on peut voir dans le Rassemblement, du moins lorsqu’il se présente sous son jour le moins sinistre, une sorte de proto-Culture, même s’il convient de rappeler que notre écrivain a entamé sa propre série trois ans avant la parution originale d’Une forme de guerre. Léourier, surtout, dispose d’un atout majeur dans son style, élégant sans maniérisme, riche sans lourdeur. Si on y ajoute des personnages complexes, une grande inventivité sociétale et un sens de la mesure qui donne des romans concis mais alertes, on ne peut que souhaiter à cette réédition un franc succès.

Pour conclure, signalons que ce volume comprend également une série de poèmes et de chants excisés de Ti-Harnog lors de sa première publication, un entretien passionnant où l’auteur montre autant d’humilité que d’intelligence, et une bibliographie.

Pierre-Paul DURASTANTI

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