La novella ou court roman, est la forme majeure sous laquelle se présente la S-F contemporaine, il n'est désormais pas rare de voir les revues spécialisées américaines inscrire deux novellas au sommaire d'une même livraison 1. Le nombre important de novellas de qualité publiées chaque années a fait du Prix Hugo décerné a cette catégorie de textes, l'une des récompenses les plus convoitées par les auteurs.
L'émergence de la novella est évidemment un signe des temps. L'hypertrophie littéraire a frappé toutes les catégories de textes : le roman « normal » de 250 à 300 pages (la plupart des Simak, Farmer, Dick, Heinlein, Silverberg, Sturgeon… antérieurs à 1970) a disparu au profit du pavé à la Hypérion. La nouvelle traditionnelle de 10 a 20 pages est devenue novella. Quant aux « short stories » — ces courtes nouvelles à chute à la Fredric Brown que la défunte revue Fiction avait baptisées « contes » et qui sont considérées dans les pays anglo-saxons comme la forme la plus achevée de la littérature — elles ont tout simplement disparu !
Contrairement à la nouvelle qui laisse parfois le lecteur sur sa faim, la novella permet d'exploiter au mieux une idée, de développer une situation, d'envisager des implications sociales, politiques ou esthétiques, de mettre en scène des personnages étoffés. Par ailleurs, une novella bien construite est « dégraissée » des longueurs qui affligent trop de romans récents. Pour beaucoup d'amateurs de S-F la novella fait donc figure de longueur idéale.
C'est le cas de Danse aérienne de Nancy Kress, une novella publiée en 1993 dans Isaac Asimov's SF et proposée par les éditions Orion dans une traduction compétente signée Thomas Bauduret.
L'assassinat de deux ballerines bio-améliorées conduit une journaliste à enquêter dans les milieux de la danse professionnelle et du business du bricolage génétique. L'enquête est parfois confuse — la « fouineuse » se doublant d'une mère inquiète pour sa fille Deborah, qui ne rêve que d'être admise dans le prestigieux corps de ballet d'Anton Privitera. Les intrigues secondaires et les rapports tendus mère/fille (qui concernent quatre personnages) ont tendance à ajouter à cette confusion. Jusqu'à la révélation finale portant sur des expériences menées en dépit d'une interdiction décrétée au niveau mondial — comme si l'on pouvait être assez naïf pour croire qu'une interdiction officielle pouvait empêcher les scientifiques de jouer avec leurs éprouvettes ! Ce que la science est capable de faire, elle le fait. Dans tous les cas. C'est dans sa nature. Ne serait-ce que parce que les politiques (qui sont tous des paranoïaques) sont persuadés que « ne pas le faire » signifie prendre du retard par rapport aux voisins qui eux le feront. La course a la connaissance n'admet aucune règle, ne supporte aucun frein.
Difficile en sortant de la lecture de Danse aérienne, de ne pas faire le rapprochement avec l'œuvre et les préoccupations de Greg Egan évoquées par l'éditeur français en quatrième de couverture, en particulier avec des textes comme « Notre-Dame de Tchernobyl » ou « Comme paille au vent » — hélas la journaliste Susan Matthews n'a pas la stature des privés et autres enquêteurs « destroys » de Greg Egan, et les spéculations de Nancy Kress sur le génie génétique paraissent singulièrement étriquées en regard de la démesure de l'auteur australien.
Reste un personnage intéressant : Angel, un doberman bio-amélioré, doté de la parole et du QI d'un enfant de cinq ans. Les scènes écrites de son point de vue sont réussies ; l'évolution des rapports entre Caroline Olson, la danseuse étoile génétiquement bricolée, et son chien, fournit un fil conducteur au récit. Les deux personnages sont de même nature et leur déchéance sera identique.
Reste également une réflexion pertinente sur l'Art : tous les moyens sont-ils bons pour atteindre les sommets (du dopage aux bio-améliorations) ou la pratique artistique doit-elle rester « naturelle » — avec pour corollaires ces certitudes rassurantes offertes au spectateur que l'artiste n'est que le fruit d'un travail acharné, et qu'il n'y a donc pas de différence physiologique fondamentale entre le spectateur et l'artiste qu'il admire ? Nancy Kress apporte un élément de réponse moralisateur : la nature finit par retrouver ses droits et se venger ; les artistes bio-améliorés se détruisent donc peu à peu. Tout en cédant à la tentation nihiliste, le personnage de Deborah propose un éclairage beaucoup plus romantique : il faut rendre sa vie la plus intense possible, quitte à la consumer a toute allure.