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Les critiques de Bifrost

Critique parue en avril 2016 dans Bifrost n° 82

Quand paraît ce livre, Terry Pratchett est un auteur déjà célèbre, une dizaine de tomes des « Annales du Disque-Monde » a paru. Pour Neil Gaiman, en revanche, il s’agit d’une première. S’il a déjà livré les premiers épisodes de Sandman et de Black Orchid, il n’a encore jamais publié de roman. Les deux auteurs se connaissent depuis 1985, ils décident donc d’écrire ce livre à quatre mains, faisant progresser l’intrigue à travers de longues conversations téléphoniques et une palanquée de disquettes (oui, oui, nous sommes à la fin des années 80, et le livre ne saurait le renier, car il est très marqué dans son esthétique – sans qu’on y trouve à redire). Pratchett a affirmé par la suite en avoir rédigé environ les deux tiers, et ce pour plusieurs raisons : la nécessité d’un seul responsable donnant l’unité de ton au roman, et le fait que Gaiman était par ailleurs très occupé par Sandman. Pour sa part, Gaiman indique qu’à la base, Pratchett a sans doute écrit plus de choses que lui, mais vu le nombre de fois où les textes ont été échangés, modifiés, complétés par l’un ou l’autre, il était ardu de dire à la fin qui avait écrit quoi. On ne saurait lui donner tort : à la lecture, il apparaît difficile de discerner les apports de chacun. Disons que le livre ressemble plus à du Pratchett parce qu’il est ouvertement humoristique, et que c’est un terrain de jeu plus habituel pour l’auteur des « Annales du Disque-Monde » que pour Gaiman.

Un ange, Aziraphale, qui gardait le Jardin d’Eden, et Rampa (Crowley, en VO), un démon qui dans sa précédente incarnation fut le serpent à l’origine de la tentation d’Ève, sont à présent parmi nous, et exercent la digne fonction de représentants du Bien et du Mal sur Terre. Quand, soudain, la nouvelle tombe : est venu le temps de l’Antéchrist, porteur de la Malédiction qui s’abattra sur le monde, le poussant à sa perte. Plus enclins à défendre leur intérêt personnel, qui leur dicte de ne rien changer, qu’à défendre les intérêts de leurs camps respectifs, l’un et l’autre vont tomber d’accord pour embrouiller la situation et procéder à l’échange du bébé Antéchrist avec un bébé normal. Quelques années plus tard, l’Antéchrist s’appelle ainsi Adam Young. Il a onze ans et mène une existence tout à fait ordinaire d’enfant britannique, même s’il utilise ses pouvoirs pour façonner le monde tel qu’il le conçoit, sans même s’en apercevoir. Ailleurs, Anathème Bidule tente de décrypter les prophéties d’Agnès Barge, son ancêtre d’il y a plusieurs siècles, une sorcière dont les prédictions étaient tellement obscures que depuis, ses descendants n’ont eu de cesse de les révéler. Le jour où Anathème rencontre Newton Pulsifer, un authentique chasseur de sorcières, elle va brusquement progresser dans sa compréhension des prophéties, qui se révéleront redoutablement visionnaires…

Ce résumé ne donne qu’une maigre idée de l’intrigue concoctée par les joyeux lurons. Des clins d’œil à foison : le titre anglais, Good Omens, fait ouvertement référence à The Omen (La Malédiction), de Richard Donner, mais on y trouve aussi des mentions de L’Exorciste et d’autres romans ou films apocalyptiques ; l’un des personnages les plus emblématiques de Pratchett y fait une apparition remarquée. Une intrigue éclatée qui vous emmène de droite à gauche, a priori de manière aléatoire, mais qui réussit toujours à retomber sur ses pieds, tout en ne vous laissant aucun moment de répit pour réfléchir à la cohérence globale de l’ensemble. Des personnages tous plus barrés les uns que les autres. Et des notes de bas de page qui prolongent l’humour omniprésent, pour ceux qui en redemanderaient. Il faut dire que Gaiman et Pratchett ont mis la barre haut : pas une scène qui ne soit détournée ou parodique, pas un protagoniste qui ne soit barge, pas une réplique qui ne fasse mouche… Certains trouveront peut-être cet amoncellement indigeste, mais gageons que l’immense majorité des lecteurs saura apprécier ces Bons présages pour ce qu’ils sont : un roman fun, écrit par deux auteurs en pleine fusion créatrice ; une œuvre d’une grande fraîcheur et d’une jubilation de tous les instants.

Bruno PARA

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