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Les critiques de Bifrost

Dôme, roman 1

Stephen KING
ALBIN MICHEL
630pp - 22,00 €

Critique parue en avril 2011 dans Bifrost n° 62

[Critique portant sur les deux tomes du roman.]

Chester’s Mill, petite ville du Maine, près de Castle Rock, se retrouve du jour au lendemain isolée sous un champ électromagnétique qui a sectionné tout ce qui se trouvait à cheval sur la frontière, provoquant d’emblée une série de catastrophes routières et aériennes. L’écrasement d’un avion contre le dôme invisible, au pourtour vite matérialisé par une double rangée d’oiseaux morts, marque d’ailleurs le spectaculaire début de ce huis-clos à l’échelle municipale. Dale Barbara était en train de quitter la ville. Le cuisinier du fast-food local, ex-vétéran de la guerre d’Irak, avait eu quelques jours plus tôt une altercation avec quelques mauvais garçons de la ville, dont Junior Rennie, fils du deuxième conseiller de Chester’ Mill,  fraîchement exclu de la fac parce qu’il a du mal à canaliser sa violence, ce qu’ignore son père, concessionnaire automobile aux manières patelines. C’est précisément parce que ce dernier prend mal la mesure de la situation que les premiers problèmes apparaissent. Pour ne pas se laisser distancer par un leader quelconque, il cherche à accroître son pouvoir sur la population en jouant sur le levier de la peur, n’hésitant pas à laisser pourrir les choses, voire à provoquer des drames pour devenir l’homme de la situation. D’ailleurs, il s’avère vite que le premier adjoint, le pharmacien Andy Sanders, n’est qu’une marionnette entre ses mains, un responsable placé en première ligne pour porter le chapeau en cas de problème. Et que les décisions sont également prises pour dissimuler un juteux trafic orchestré à grande échelle, lequel, à mesure qu’il se précise, permet de comprendre la fortune de quelques administrés ou de réinterpréter les histoires qui traînent dans la ville. Du fait de l’isolement, toutes ces affaires souterraines rendent la situation explosive et finissent par dégénérer en conflit ouvert. Pour renforcer celui-ci, les protagonistes extérieurs au dôme n’interviennent que de façon indirecte, par le biais de conversations téléphoniques ou d’interventions télévisées.

Il s’agit donc moins d’un roman d’horreur classique que d’une étude de caractères en période de crise, à l’instar de n’importe quel récit catastrophe. Mais pas de n’importe quels caractères : Stephen King prend une photo de l’Amérique actuelle, travaillée par les pires courants réactionnaires et puritains. Les conséquences de l’isolement décrites ici sont surtout celles, sociologiques, qui modifient le comportement des habitants, en particulier l’attitude des dirigeants. Certes, l’absence d’électricité, les pénuries progressives d’alimentation, le manque d’eau et la pollution atmosphérique croissante sont des facteurs aggravants générant nombre de rebondissements. Mais les principaux dommages sont d’abord causés par les élus et la police municipale.

Des portions de territoires isolées du monde ne sont pas neuves en science-fiction, depuis celles volontairement coupées de l’extérieur à celles mises en coupe par les extraterrestres comme dans Les Coucous de Midwich. Difficile surtout de ne pas penser à La Maison qui glissait de Jean-Pierre Andrevon, publié au Bélial’, qui a un axe d’entomologie sociale identique et propose la même explication au phénomène, d’autant plus que le roman de l’auteur américain, conçu et entamé en 1976, mais abandonné à deux reprises, prenait pour point de départ la population d’un immeuble coupé du monde. Seule la perspective diffère.

Si le scénario minutieux de Stephen King permet pareillement de déclencher des réactions en chaîne, jusqu’au macabre horrifique qui donne volontiers dans le grotesque et l’hystérique au gré des situations, son but n’est pas seulement d’éviter les baisses de régime dans la narration mais de donner des responsables l’image d’une agitation irrationnelle et frénétique. Car ce roman est avant tout une charge politique contre les Républicains des derniers mandats, en particulier depuis le 11 septembre qui a renforcé la politique isolationniste du pays et restreint les libertés publiques.

Ce n’est pas un hasard si le récit commence avec une catastrophe aérienne. Le détestable deuxième adjoint est une référence avouée à Dick Cheney (c’est d’ailleurs un masque à son effigie qu’utilisent les révoltés pour attaquer le poste de police), la fabrication de preuves, grossières pour accabler le coupable désigné, rappelle fortement celles désignant l’Irak, de même que le musellement de la presse, l’accablement de témoins gênants, et jusqu’au trafic auquel se livrent les élus, qui n’est pas sans rapport avec les bénéfices engendrés par le clan Bush. La dévotion excessive, l’horreur des excès de langage, va de pair avec le racisme et les pratiques mafieuses, la violence, y compris sexuelle, étant tolérée du moment qu’elle sert de « justes » intérêts. Tout y est, depuis le spectre de l’insécurité sans cesse agité jusqu’à l’amalgame religieux avec l’Axe du Mal. Ce qui paraît excessif chez King cesse de l’être pour peu qu’on se remémore la première décennie du XXIe siècle. Dès lors, les séquences grotesques deviennent une parodie jouissive. Les problèmes de pollution qui se manifestent surtout dans le second tome élargissent la métaphore de la ville sous dôme à l’échelle de la planète.

Question écriture, l’auteur a manifestement misé sur l’efficacité, laissant de côté les exercices de style qui caractérisaient quelques-uns de ses derniers opus. Personne ne sera étonné d’apprendre que King n’échappe pas à certaines longueurs, malgré un découpage inspiré des séries télévisées actuelles, qui saucissonne l’intrigue en scènes très brèves pour soutenir le suspense. Spielberg en a d’ailleurs acquis les droits dans ce but. Ce Stephen King a l’envergure du Fléau ou de Ça, la dimension polémique en plus. Tout de même…

Claude ECKEN

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