Andreas ESCHBACH
L'ATALANTE
768pp - 26,50 €
Critique parue en avril 2009 dans Bifrost n° 54
Alors que la fin de l'ère du pétrole est programmée, Karl Block, un autodidacte, annonce l'existence de réserves pratiquement illimitées. Son calcul, très simple, se base sur le taux de gaz carbonique aux ères géologiques, un taux cinq fois plus élevé qu'aujourd'hui. Les activités humaines récentes n'ont contribué à rejeter dans l'atmosphère que 0,008 % supplémentaire du combustible fossile. Les gisements inexploitables pour cause de mauvais rendement ne suffisent pas à expliquer à eux seuls une telle différence. Si Block a trouvé du pétrole chez lui, en Autriche, il se fait fort d'en trouver partout sur la planète, grâce à sa méthode révolutionnaire contredisant toutes les expertises effectuées à ce jour. Reste à dénicher des investisseurs…
Désireux de faire fortune aux Etats-Unis, Markus Westermann, jeune Allemand dévoré d'ambition, trouve là le moyen de rester dans la nation de tous les possibles : associé à Block, il parvient à lever des capitaux, une fois faite la démonstration qu'il reste du pétrole dans le sous-sol des Etats-Unis, le pays le plus prospecté au monde, au Dakota du Sud, jadis examiné par un prospecteur expert d'autant plus écouté qu'il était originaire de la région. Dans la période euphorique qui s'annonce, Markus vit une aventure passionnée avec Amy-Lee, fille d'un milliardaire chinois, dont la relation n'est peut-être pas si désintéressée que ça. Car la méthode de Block, encore largement intuitive et qui a besoin du concours de Markus pour être perfectionnée, n'intéresse pas seulement des personnages influents pour ses perspectives financières, mais aussi à cause des déséquilibres sociaux qu'elle induit (avant même d'avoir encaissé ses premiers revenus, la société de capteurs solaires de son frère en Allemagne est menacée de faillite) et surtout des menaces géopolitiques qu'elle fait peser sur la planète, l'Arabie Saoudite risquant fort de perdre sa position stratégique. Autant dire que les comploteurs sont légion et que Markus ira de mauvaises surprises en cruelles désillusions, sans cependant jamais perdre sa rage de vaincre les obstacles semés sur sa route.
Cet imposant récit contient deux romans en un : le premier est un thriller de près de 500 pages centré sur la méthode Block et les luttes de pouvoir qu'elle suscite, le second est un roman de science-fiction de moins de 300 pages sur les conséquences dramatiques liées à la pénurie de pétrole.
Le thriller, très documenté, est l'occasion pour Eschbach de faire le point sur les enjeux énergétiques et notre civilisation basée sur le pétrole. L'intrigue, qui alterne entre présent et passé dans une construction très dynamique, comporte quelques passages plus didactiques rangés sous la rubrique passé antérieur, où l'auteur dresse des rappels historiques, politiques et autres qui resituent la thématique dans une perspective sociologique et brosse la menace que fait peser cette trop forte dépendance énergétique.
La seconde partie, plus prospective, donc, montre les conséquences de la flambée des prix suite à un attentat de Ben Laden dans le principal port saoudien, attentat qui cache d'autres vérités plus dramatiques. Le retour à une société néo-rurale proche du XIXe siècle et la chute rapide de la civilisation en l'absence de transport des marchandises, de banlieues trop excentrées de tout pour rester vivables, est convaincante, sans donner dans le spectaculaire. Ici aussi, la documentation confère à des événements de notre histoire récente un éclairage révélateur.
Bien des personnages secondaires (Dorothée, la sœur de Markus, et son mari en Allemagne, une famille princière saoudienne, un prévoyant espion de la CIA) multiplient les points de vue et humanisent le récit, à travers des problématiques qui finissent par recouper l'intrigue principale, parfois de façon trop fortuite. Sur ce point, le roman n'est pas exempt de menus défauts : quelques explications didactiques évidentes exposées dans des dialogues naïfs et des coups de théâtre basés sur des coïncidences formidables, à la façon des feuilletons d'antan, nuisent à la crédibilité de l'ensemble. On a ainsi de la peine à croire, quand Dorothée envisage de façon excessivement dramatique la fin du pétrole, qu'elle ignore que son frère fait la une de la presse aux Etats-Unis en vantant une méthode éloignant cette menace, de même qu'il est surprenant de voir son mari, pourtant employé dans l'automobile, ne pas réaliser les conséquences sur son emploi. Heureusement, Eschbach a suffisamment de métier pour faire oublier ces faiblesses et rendre palpitante cette histoire racontée de façon claire et alerte, sans aucun temps mort, tout en parvenant à faire le tour exhaustif d'une question pourtant très complexe. Un roman fleuve aussi visionnaire qu'impressionnant, qui ne fait l'impasse sur aucun problème.