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Les critiques de Bifrost

Évolution

Stephen BAXTER
PRESSES DE LA CITÉ
732pp - 25,00 €

Critique parue en octobre 2005 dans Bifrost n° 40

Un livre-univers sur 650 millions d'années, voilà ce que nous propose ici Stephen Baxter. Le projet ne manque pas d'ambition, pour le moins : conter l'histoire de notre lignée depuis la fin du Crétacé jusqu'à un demi-milliard d'années dans l'avenir. Baxter a conçu son ouvrage en trois parties, « Les ancêtres » d'abord, puis « L'être humain » et enfin « Les descendants ».

Il était une fois, au Crétacé, le purgatorius, une femelle de cette espèce de primate qui hésite entre la taupe et le loir mais ne ressemble en rien à un singe, que Baxter personnifie en Purga. En ce temps-là, les mammifères existent depuis longtemps déjà mais sont loin de tenir le haut du pavé car règne Sa Majesté, le dinosaure. Première rencontre sur cette échelle de Darwin, Purga vivait il y a 65 millions d'années, juste au moment où une comète embrase le ciel puis la terre… Purga échappera aux dinosaures et leur survivra ainsi qu'à la catastrophe. Purga ne se pose bien sûr aucune question, sa vie est régie par l'instinct, elle ne lâche jamais le morceau et se bat. Contrairement à la brave petite chèvre de monsieur Seguin, elle ne se couche pas dans l'herbe au matin pour voir venir sa fin. Quand arrive son heure, elle a fait le boulot, le grand boulot de la vie, assurer sa descendance, transmis ses gènes. Qui doivent être les bons, puisqu'elle y est parvenue…

Bien entendu, notre connaissance de ces époques révolues compte bien des lacunes où Baxter s'engouffre à plaisir. N'oublions pas qu'Evolution est un roman, pas un essai, ni même un essai romancé. Ce que l'on peut lui reprocher, certes, mais cela donne aussi la parole au poète et permet à l'auteur d'évoquer des dinosaures intelligents ayant vécu au Jurassique ou un très poétique quoique improbable cachalot du ciel se nourrissant de plancton aérien…

Petit à petit, au fil des millions d'années qui, comme des perles, s'enfilent sur le collier de l'évolution, on assiste à la lente transformation de nos primates primitifs en singes, puis des singes en hommes. L'imagination de Baxter fait survivre les dinosaures en Antarctique jusqu'il y a 10 millions d'années… Il y a eu peu de fouilles sous l'islandsis jusqu'à présent…

Les hommes, les singes. Les mâles, les femelles. Rien ne change vraiment en dépit de l'évolution. Les donnes passent, la règle reste la même. Toujours la même et éternelle lutte pour assurer la prééminence de ses gènes sur ceux du voisin. Il ne faut bien sûr y voir aucun projet individuel. C'est un jeu de chance et de massacre. Jusqu'à ce que le bon individu soit au bon endroit au bon moment, mais sans que cela corresponde à un quelconque projet de la nature. Ce n'est pas le mieux adapté qui s'impose, c'est le plus adaptable. Celui qui survit quand les conditions changent. Ce facteur d'adaptation conduit à un cerveau de plus en plus gros. La capacité de traitement de l'information augmente et accroît son empire sur le monde. Mais ce n'est qu'une des stratégies de l'évolution parmi d'autres…

On voit l'homme entrer dans la période historique puis la chute de Rome, mais, à ce moment-là, du point de vue évolutionniste, le genre homo est déjà sur le déclin…

Pour la troisième partie du roman, la plus courte, Baxter entre explicitement en science-fiction. En 2031. Dans la situation de stress écologique extrême induite par la civilisation industrielle, l'éruption du super volcan Rabaul sera un événement comparable à la chute de la comète de Chicxulub, qui mit fin au Crétacé et à l'ère des dinosaures.

Pour rendre compte de cette fin du monde humain tel que nous le connaissons, Baxter recourt à cet expédient bien connu en S-F qui consiste à projeter des gens du XXIe siècle dans l'avenir — grâce à une forme d'hibernation. Un groupe de militaires anglais se retrouve ainsi au moins mille ans après la fin de la civilisation et l'évolution a déjà repris sa route.

Alors que les rongeurs vont dominer le monde, le cerveau des primates se réduit. La capacité à traiter l'information n'est plus leur stratégie de survie en tant qu'espèces qui se diversifient à nouveau. Au dernier chapitre, 500 millions d'années dans l'avenir, sur une Terre agonisante, sèche, désertique, la collaboration a pris le dessus sur la compétition et plantes et animaux survivent en symbiose…

Voilà un livre énorme mais pas trop gros car le sujet est si vaste qu'il peut se résumer en vingt mots ou se déployer sur vingt tomes. Le sujet est tout à fait passionnant et il est rare que l'on trouve à lire ouvrage d'une telle envergure. Mais voilà, l'ouvrage a aussi les défauts de ses qualités. C'est que l'évolution, surtout telle que Baxter nous la donne à voir, est répétitive à l'envie. Un même panel de solutions est décliné à chaque itération évolutive. Il nous imagine fort bien d'ici 30 millions d'années remonter dans les arbres… et, quoiqu'il arrive, le vivant n'a d'autre ambition que de se perpétuer. Pour nous le montrer et nous en convaincre, Baxter ne cesse de le remettre sur le métier, encore et encore. Telle est la machinerie de la vie ; là-dessus, notre si brillante civilisation n'est que la peinture sur la voiture, et elle est beaucoup plus fragile. Il ne lui faut guère que mille ans pour disparaître totalement et à jamais. Comme dans Poussière de lune ou Titan, on retrouve en Stephen Baxter un farouche partisan d'une littérature descriptive, un Balzac de la science et de la technologie. Il va sans dire que l'action s'en trouve grevée et, quelque part, le plaisir miné. Evolution est un roman qui arrive à être tout à la fois et simultanément ennuyeux et passionnant sans que ce soit un défaut ; c'est inhérent au sujet et à la vision qu'en donne l'auteur. La rareté du sujet en fait néanmoins un livre absolument incontournable.

Jean-Pierre LION

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