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Les critiques de Bifrost

Critique parue en avril 2013 dans Bifrost n° 70

Lorsque paraît Evolution en anglais, chez Gollancz en novembre 2002, Stephen Baxter écrit de manière professionnelle depuis plus de dix ans et a déjà derrière lui une bibliographie imposante (une quinzaine de romans, dont les cycles majeurs des « Xeelees » et des « Univers multiples »). C’est un écrivain au sommet de son art ayant habitué ses lecteurs à des intrigues d’une ambition et d’une ampleur pour le moins vertigineuses. Et pourtant…

Imaginer l’histoire de la lignée humaine sur six cent cinquante millions d’années, du Crétacé jusqu’à un demi milliard d’années dans le futur. Rien que ça. Sur mille pages. Ben voyons… Autant dire que ça vous met d’emblée comme un frisson, un genre de vertige.

Purga est une espèce de rat primate, une petite créature aussi discrète que tenace passant le plus clair de son temps à éviter de se faire bouloter par les rois du monde, des lézards géants fortement pourvus en dents. Nous sommes il y a soixante-cinq millions d’années et, s’ils ne le savent pas encore, les dinosaures n’en ont plus pour longtemps… Pour Purga et ses descendants, qui survivront à la tempête de feu provoquée par le cailloux céleste tombé au large de ce qui n’est pas encore le Mexique, c’est le début de l’aventure, le chapitre initial (sur dix-neuf, réunis en trois énormes parties : « Les ancêtres », « L’être humain » et « Les descendants », cette dernière étant la plus courte) de ce qu’il faut bien considérer comme un tour de force époustouflant. Avec un souci du détail qui laisse songeur quant à la masse de documentation réunie pour accoucher d’un tel projet, Baxter entreprend la longue narration de la lignée humaine à travers une série de portrais choisis à des moments précis, dans des lieux cruciaux, de représentants plus ou moins lointains de notre grande famille. Purga, donc, qui survit à l’apocalypse ; Plessis (une sorte d’écureuil) ; le lémurien arboricole North ; Vagabonde, le singe navigateur qui s’essaie au radeau de la Méduse ; le lemming Creuse, qui tente d’échapper au froid ; Capo, le presque homme, entre chimpanzé et hominidé ; et d’autres encore, nombreux, une théorie de personnages qui nous conduira cinq cents millions d’années dans le futur, jusqu’au symbiote Ultima. Ouf…

« Ceci est un roman. J’ai essayé de romancer la grande histoire de l’évolution humaine, en aucun cas d’écrire une thèse ; j’espère que ce livre est plausible, mais mieux vaut ne pas lire ce livre comme un essai. Mon histoire est essentiellement basée sur les reconstitutions hypothétiques du passé établie par des experts dans leurs domaines. Dans bien des cas, j’ai choisi l’idée qui me paraissait la plus plausible ou la plus excitante parmi plusieurs possibilités. Mais une partie est basée sur mes propres spéculations échevelées… » Ces quelques mots de l’auteur extraits de sa courte postface à Evolution posent l’un des enjeux essentiels du roman. Car Baxter ne se contente pas ici de raconter la grande aventure de la race humaine, ses origines et son devenir, il remplit les blancs, s’amuse à extrapoler non seulement ce qui sera peut-être, mais aussi ce qui a peut-être été (des raptors titillés par l’embryon d’une intelligence naissante ; des géants ailés qui jamais ne se posent au sol, passant leur vie dans les nues, entre ciel et espace…). Un roman, on vous dit, riche d’inventivité, de trouvailles, de péripéties, une fresque sans équivalent, la nôtre, telle qu’elle a été et comme elle sera peut-être.

Au final, Evolution s’impose comme un projet monstre, mais aussi une sorte de condensé de l’auteur tant on y trouve ce qui le caractérise : la conjonction de ses deux passions — la prospective et l’histoire, toutes deux toujours mises en perspective de l’évolution, la grande question darwinienne au cœurs de l’œuvre de notre homme —, sa démesure, sa propension à tirer à la ligne aussi, parfois, sa capacité de travail prodigieuse, sa précision extrême, agaçante car maniaque, son style, tout juste utilitaire… Bref, tout ce qui fait que Baxter est Baxter, un romancier prodigieux qui signe ici sinon son grand œuvre, une manière de quintessence de celle-ci, un livre pivot aussi passionnant qu’incontournable.

Olivier GIRARD

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