Cette nouvelle édition de Faërie, plus hétéroclite que l’originale, comprend deux textes évoqués par ailleurs dans ce guide de lecture : nous ne reviendrons donc pas ici sur l’essai « Du conte de fées » qui justifie son titre, repris dans une nouvelle traduction dans Les Monstres et les critiques, et pas davantage sur Les Aventures de Tom Bombadil. Restent deux poèmes et trois contes.
« Le Retour de Beorhtnoth » est un poème dramatique en vers allitératifs, adapté en son temps pour une version radiophonique, et qui constitue en quelque sorte une « suite » au poème vieil-anglais « La Bataille de Mal-don ». Ce dialogue entre deux serviteurs d’un roi qui a péri avec son armée en raison de son orgueil mal placé (ce qui justifie une longue « postface » de Tolkien, le texte ayant d’abord été publié comme un essai) traite ainsi de manière critique des notions de chevalerie et de courage, d’honneur et de guerre, et entre en résonance avec d’autres œuvres tolkieniennes (on pense notamment à ses essais sur Beowulf et Sire Gauvain et le Chevalier vert, mais il est sans doute également possible d’établir des liens avec, par exemple, le personnage de Boromir dans « Le Seigneur des Anneaux »).
« Mythopoeia », très différent, se présente comme l’adresse de « celui qui aime les mythes » (Tolkien) à « celui qui ne les aime pas » (C.S. Lewis), car « ils ne sont que des mensonges […] quoique soufflés dans du Vermeil ». Ce poème passablement complexe éclaire (dans une certaine mesure…) les relations entre les deux amis et auteurs.
Les trois contes en prose de ce recueil, qui illustrent les conceptions exposées dans « Du conte de fées », sont de même très divers. Le plus intéressant est probablement « Feuille, de Niggle », jolie allégorie (de la part d’un auteur qui ne prisait pourtant guère le genre) fortement teintée de connotations chrétiennes et de références autobiographiques, traitant de l’art, de la sub-création et de la mort, par le biais du peintre « Fignoleur », qui s’acharne à représenter des feuilles dans le plus grand détail, mais peine pour rendre un arbre dans son ensemble…
« Le Fermier Gilles de Ham », conte fondateur du « Petit Royaume » (en Angleterre), est autrement plus léger. Ce texte plein d’humour — à vrai dire limite parodique — évoque un simple paysan qui, ayant chassé un géant par un coup de chance, se voit auréolé d’une réputation de héros le conduisant à lutter contre un dragon… Mais le bonhomme a de la ressource. Un aperçu, sans doute, de ce que Tolkien aurait pu faire en dehors du « Légendaire ».
Reste enfin « Smith de Grand Wootton », sans doute le récit le plus classique des trois, puisqu’il s’agit d’une variation sur le thème de l’homme marqué par la Faërie, qui passe sa vie à errer du monde des mortels à celui des fées.
De toute évidence, nous ne sommes pas là en présence du meilleur Tolkien, tant la distance est grande entre ces œuvres courtes et « simples », et la démesure du « Légendaire » et des romans de hobbits qui font la singularité de l’auteur. C’est néanmoins une lecture fort agréable, qui permet d’entrevoir d’autres facettes de la production tolkiénienne, tant en vers qu’en prose.