[Critique commune à Nous mourons nus et Frank Merriwell à la Maison Blanche.]
La collection « Dyschroniques » poursuit son petit bonhomme de chemin, avec ses rééditions de nouvelles de SF « politique »… toujours un poil onéreuses.
Commençons avec le meilleur de ces deux petits volumes, Nous mourons nus de James Blish, texte datant de 1969. Nous y suivons un certain Alexei-Aub Kehoe Salvia Soleil-Lune-Lac Stewart. Alex est Président Général de la Loge 802 de la Fraternité Internationale des Ingénieurs de l’Hygiène ; un éboueur, quoi, mais de la haute. Et on a bien besoin d’éboueurs dans le futur sinistre que nous dépeint l’auteur, qui tirait déjà, en 1969, la sonnette d’alarme quant aux dangers de l’accumulation d’ordures, de l’effet de serre et du réchauffement climatique. Du fait de la fonte des glaces et de l’élévation du niveau des océans, New York est ainsi pour partie submergée, et l’on s’y déplace en canoës (sinon en saucisses). Et ce n’est pas parti pour s’arranger… A vrai dire, il est même un peu tard pour brandir la menace d’une grève qui, à ce stade, ne préoccupe plus les autorités : Alex obtient confirmation que l’apocalypse est pour bientôt… L’idée d’anthropocène est ici une réalité concrète, et l’inconscience de l’homme débouche sur une menace géologique immédiate ; des tremblements de terre dus aux forages malencontreux d’enfouissement des ordures commencent en effet à secouer la Grosse Pomme. Tout cela, Alex a l’occasion d’en discuter avec ses amis, un petit cercle bohème d’intellectuels et d’artistes, avant, le moment venu, de les inviter (enfin, quelques-uns…) à se joindre à lui pour bénéficier du plan secret du gouvernement destiné à évacuer une poignée de citoyens sur la Lune…
Nous mourons nus, nouvelle dédiée à Philip K. Dick qui l’admirait profondément (et incitait Blish à la développer, y voyant matière à un futur classique de la science-fiction), est à n’en pas douter une réussite. Texte bourré d’idées et visionnaire comme seule peut l’être la meilleure SF, assez subtilement écrit et conçu, il bénéficie d’un humour cinglant porté sur l’absurde et la satire, sans négliger pour autant ni la réflexion, ni l’émotion. Si la conclusion (qui s’intéresse davantage à l’épouse d’Alex, Juliette) est un cran en dessous de la réjouissante entrée en matière, on ne boudera pas notre plaisir : c’est là un très chouette texte, en plein dans les préoccupations écologiques du temps et qui en use au mieux, le pire étant qu’il reste d’une indéniable actualité…
Frank Merriwell à la Maison Blanche est moins convaincant… Dans cette nouvelle de 1973, Ward Moore imagine qu’un magnat politique lance la carrière du candidat idéal : un robot (conçu par un beau spécimen de savant fou appelant de ses vœux la destruction de la civilisation), qui adopte le nom de Frank Merriwell en référence à une « figure puritaine et passéiste de la culture américaine » (précision bienvenue en appendice…), et déboule dans l’arène politique en affirmant d’emblée aux électeurs qu’il est « contre le progrès ». Mais ce discours qui a tout du conservatisme le plus extrême séduit des libéraux, et Frank Merriwell gravit les échelons jusqu’à la Maison Blanche, où il pourra mettre en place son utopie réactionnaire…
Farce qui ne se pose guère la question de la crédibilité, la nouvelle de Ward Moore se veut une satire de la vie politique américaine, et ne manque pas d’intérêt sous cet angle (on précisera que cette édition est abondamment annotée, ce qui était pour le moins nécessaire). Pourtant, dans l’ensemble, elle ne marche pas vraiment. Que le propos soit ambigu, prenant à rebrousse-poil les sentiments progressistes d’une bonne partie des lecteurs, n’est sans doute pas le principal problème (même si les lectrices apprécieront tout particulièrement le rôle dévolu à la femme dans la société idéale défendue par le robot, ou ses positions quant à la contraception). Non, le vrai souci réside dans le caractère guère convaincant des joutes oratoires et autres scènes censées expliquer l’ascension fulgurante de cette machine politique parfaite : on n’y croit pas deux secondes, en dépit même de ce qu’autorise le principe de la farce, et donc de la caricature — trop d’absurde tue la démonstration. D’autant que passée la surprise du positionnement conservateur de Frank Merriwell, son ascension vers les plus hautes sphères de la vie politique américaine s’avère toute tracée, et on s’ennuie du coup un peu à la lecture. Si on ajoute à tout cela un humour qui, pour être omniprésent, ne fait pas toujours mouche, loin s’en faut, la conclusion s’impose : cette nouvelle est en définitive au mieux médiocre…
Bilan contrasté, donc, pour ces deux publications. On aura vite choisi son camp.