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Les critiques de Bifrost

Gilgamesh, roi d'Ourouk

Robert SILVERBERG
FOLIO
482pp - 8,10 €

Critique parue en janvier 2008 dans Bifrost n° 49

L'antique Sumer, trois mille ans avant J. C. Ourouk pleure Lugabanda qui a rejoint le Pays sans Retour. Monarque avisé, il siège dorénavant parmi les dieux. Son fils est initié aux charges princières, mais il doit bientôt s'exiler car Dumuzi veut régner sans partage. Le jeune garçon fuit comme un vagabond, mais il reviendra en maître, car il est Gilgamesh, « L'Elu ». Deux tiers dieu pour une part d'homme, jouisseur et guerrier d'exception, son infatigable énergie épuise le peuple, comme l'on fait ployer un bœuf sous la charge. Il irrigue les champs, laboure les femmes, et séduit même Inanna, déesse de l'amour. Mais Gilgamesh s'ennuie. Il lui faut une tâche à sa démesure. Le roi trouve dans la forêt un homme sauvage qui lui résiste au combat. Enkidu deviendra son frère car une seule âme occupe leurs deux corps. Ensemble, ils vaincront le démon Huwawa dans le Pays des Cèdres. L'orgueil de Gilgamesh finit par irriter les dieux. Enkidu décède à son retour des Enfers, le souverain d'Ourouk est à nouveau confronté à la mort d'un proche. Gilgamesh prend conscience de sa propre finitude. Il ne redoute pas de succomber au combat, mais craint d'être un jour oublié. Commence alors une nouvelle errance qui le conduira au pays de Dilmoun où vit Ziusudra, unique survivant du déluge. Regrettant le sacrifice de l'ancienne humanité, les dieux l'ont rendu immortel, d'une éternité qui stupéfie Gilgamesh. Le souverain s'en retourne à Ourouk avec un présent de longue vie, qu'il perdra en chemin. Mais Gilgamesh a retenu la leçon : une heure fugitive de grandeur vaut mieux que mille ans de médiocrité. L'homme est tout entier dans son oeuvre. Le souvenir de Gilgamesh ne s'effacera pas.

Ecrit en 1984, ce roman est une reprise de L'Epopée de Gilgamesh, que l'on tient pour le plus ancien texte écrit. L'histoire originelle, sombre et désabusée, parfaitement représentative de la littérature mésopotamienne, était propre à séduire Silverberg. Au prix toutefois de changements. Dans sa postface, l'auteur justifie sa narration à la première personne et sa volonté de revenir au héros historique. Ainsi, la relation privilégiée de Gilgamesh aux dieux prend la forme de crises épileptiques, le dépit amoureux d'Inanna est celui d'une prêtresse, et l'immortalité une acceptation de la mort quand elle ne signifie pas disparaître. Le récit, brillant, est en surface une relecture de mythes. À partir d'une matière imposée, l'écrivain parvient à proposer une synthèse parfaite de son œuvre. Ziusudra, survivant du déluge, est un reliquat du passé, à la façon de Clay dans Le Fils de l'homme. Tout comme dans Le Livre des crânes, l'objet de la quête est l'immortalité. Muller, héros de L'Homme dans le labyrinthe, ne s'attache pas aux femmes, erre dans les méandres de la vie, et devra retourner chez lui. Enfin, le divin roi d'Ourouk est isolé par son don, tenu loin de ses proches, état qu'il partage avec le fragile David Selig de L'Oreille interne.

Dans sa nouvelle « Breckenridge et le continuum », Robert Silverberg rappelait la nécessaire réappropriation des archétypes. L'entreprise est ici parfaitement réussie.

Xavier MAUMÉJEAN

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