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Les critiques de Bifrost

Immortel

Catherynne M. VALENTE
PANINI BOOKS
480pp - 20,00 €

Critique parue en juillet 2014 dans Bifrost n° 75

Maria Morevna est née à Saint-Pétersbourg au début du xxe siècle. Benjamine d’une famille de quatre filles, elle a vu au fil des ans, depuis la fenêtre de sa chambre, de banals oiseaux se transformer en beaux jeunes hommes pour venir l’un après l’autre demander la main de ses sœurs. Jusqu’au jour où, des années plus tard, c’est pour elle que l’on vient frapper à la porte, ce jour où elle rencontre Kochtcheï Bessmertny et se voit enfin offrir l’opportunité de quitter cette maison familiale devenue invivable depuis que les bolchéviques l’ont réquisitionnée pour y héberger douze familles supplémentaires.

Ainsi commence Immortel, premier roman de Catherynne M. Valente traduit en France. Un roman dans lequel l’écrivaine confronte les contes et les traditions russes à la réalité historique, celle allant de la révolution communiste jusqu’au stalinisme. C’est ainsi que, sous sa plume, les domovoïs, ces lutins qui hantent les maisons, écrivent des lettres de dénonciation anonymes au Parti, et les dragons s’avèrent de sinistres fonctionnaires à lunettes aux antres remplies de dossiers administratifs de tous ceux qu’ils ont envoyés au goulag ou vers un peloton d’exécution.

La plupart des personnages que Valente met en scène sont issus du folklore russe, mais le portrait qu’elle en fait est bien moins manichéen que le veut la tradition. Kochtcheï n’est pas l’être fourbe et cruel que l’on rencontre d’ordinaire, Ivan Nikolaïevitch, l’autre homme qui tente de conquérir le cœur de Maria, n’est pas forcément le prince charmant dont elle pourrait rêver, et Baba Yaga, si elle n’enlève plus de petits enfants pour les faire rôtir, n’en est pas moins dangereuse. Nombre de péripéties du récit trouvent elles aussi leurs sources dans les légendes slaves, mais la morale qu’en tire la romancière est souvent toute personnelle.

On pense beaucoup à Neil Gaiman à la lecture d’Immortel, à sa façon de réenchanter le monde par le biais du fantastique, tandis que dans le même temps les mythes perdent un peu de leur superbe lorsqu’ils doivent se frotter à la réalité. Catherynne M. Valente œuvre dans un registre similaire, et avec tout autant de talent. Qu’elle entraîne son héroïne dans un monde peuplé de créatures magiques ou qu’elle lui fasse revivre le siège de Leningrad, elle se montre toujours aussi inspirée. Pour ne rien gâcher, sa prose, élégante et envoûtante, est parfaitement servie par la traduction du toujours impeccable Laurent Philibert-Caillat. On conseillera donc de vous laisser porter par ce roman aussi gracieux que cruel, aussi drôle que tragique, vous ne devriez pas regretter le voyage.

Philippe BOULIER

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