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Les critiques de Bifrost

Critique parue en juillet 2015 dans Bifrost n° 79

Après La Stratégie Ender et Soleil Vert entre autres, J’ai Lu « Nouveaux millénaires » propose ici la réédition en grand format d’un nouveau livre important du patrimoine SF. La Guerre éternelle a remporté les prix Hugo et Nebula dans une version différente de celle ici retraduite, ainsi que l’auteur l’explique dans sa préface.

Haldeman peinait à faire publier son livre et finalement, Ben Bova l’accepta pour Analog, la revue qu’il dirigeait alors. Cependant, Bova jugeait la partie centrale du roman trop sombre pour ce qu’il estimait être le goût des lecteurs et demanda à Haldeman de la réécrire. C’est cette version modifiée qui a remporté les plus hautes distinctions américaines en matière de SF, et qui fut traduite en français chez OPTA (coll. « Anti-Mondes ») par Gérard Lebec et Diane Brower en 1976, puis rééditée chez J’ai Lu. Haldeman ne rétablit la version originelle en anglais qu’en 1991, version qui, vingt-cinq ans plus tard, vient donc d’être traduite par Patrick Imbert. Imbert a également retraduit la partie centrale de la version édulcorée, ici livrée au lecteur en annexe afin qu’il puisse comparer…

Je ne suis pas vraiment convaincu que la version initiale soit plus noire que celle publiée par Bova, par contre, avec le recul, elle semble davantage crédible avec sa violence endémique où les parents de Potter sont abattus par des pillards. Était-ce cela qui gênait le rédacteur en chef d’Analog ? La société dépeinte dans la version édulcorée est en revanche plus futuriste, notamment du fait de ces villes ne constituant plus qu’un unique bâtiment, à la façon des Monades urbaines de Robert Silverberg abritant des millions d’âmes heureuses grâce au conditionnement. Les rêves d’habitats concentrationnaires imaginés par Walter Gropius et L. Mies Van Der Rohe réalisés à la puissance 5. Si la version originelle est plus noire à cause de la violence qui l’imprègne, l’autre a comme un arrière-goût du Meilleur des mondes de Aldous Huxley qui persistera au fil du roman.

Le lecteur américain de 1974 établissait un parallèle avec la guerre du Viet Nam, où Haldemana combattu, parallèle qui n’a plus rien d’évident pour le public d’aujourd’hui. Il reste, comme l’écrit l’auteur, que La Guerre éternelle est surtout un livre sur la guerre en général, sur les soldats et les raisons pour lesquelles nous pensons avoir besoin d’eux (p. 9).

La nouvelle traduction a également modernisé le vocabulaire. Ainsi, les sondes sont-elles devenues des drones, et la description des ordinateurs de Genève (dans l’annexe) l’illustre fort bien. On se demande d’ailleurs pourquoi, à Genève, la « salle de contrôle » est devenue « kontrollezimmer » ?

Autant le dire maintenant, La Guerre éternelle ne séduira guère les fans de Jack Campbell, et vous n’y assisterez qu’à bien peu de batailles. Joe Haldeman a combattu au Viet Nam, expérience qu’il n’a manifestement guère goûtée, et son roman trouvera bien plutôt sa place entre la nouvelle« La Guerre définitive » de Barry N. Malzberg et Catch 22 de Joseph Heller ; autant d’œuvres qui s’évertuent à bien nous faire comprendre que la guerre est une connerie monstre.

La Guerre éternelle a été publié aux USA en 74, cinq ans après « l’été de l’amour », et le roman est tout empreint de libération sexuelle. L’armée est mixte, et l’on y baise à couilles rabattues… mais au fur et à mesure que Potter et Mandella dérivent vers l’avenir à cause des effets relativistes, ils découvrent des sociétés qui évoluent sur ce plan. Pour endiguer la surpopulation, l’homosexualité est devenue la norme, puis l’hétérosexualité tend à disparaître. À la fin du roman, c’est la sexualité même qui a disparu avec le clonage qui l’a rendue caduque bien qu’il apparaisse que cette évolution-là soit une impasse dont on va pouvoir sortir grâce aux militaires revenus du passé. Haldeman a poussé cette spéculation à son terme et il semble alors lui être apparu que c’était aller trop loin. Il écrivait son roman à une époque où le puritanisme était battu en brèche et où le sexe était plutôt considéré comme une bonne chose. On remarquera également que la consommation de haschisch est traitée comme une activité sociale des plus banale.

Ce roman ne montre plus notre avenir mais le futur des années 70 tel qu’il ne sera jamais. S’il garde sa valeur spéculative, il est aussi devenu un document sur la manière de vivre et de penser de l’époque, aujourd’hui complètement révolue, où Haldeman l’écrivait. La science-fiction, on le sait, donne un éclairage indirect sur le présent, mais lorsque le livre a été écrit depuis longtemps, il en vient à éclairer notre passé qui, par un jeu de miroir, questionne à son tour notre présent. Avec les années, le regard que nous fait porter sur le monde un roman comme La Guerre éternelle gagne encore en complexité. Tout sauf une vieillerie plus ou moins charitablement ressortie de la naphtaline…

La Guerre éternelle est un livre à découvrir ou à relire.

Jean-Pierre LION

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