Paul J. MCAULEY
BRAGELONNE
504pp - 25,00 €
Critique parue en janvier 2011 dans Bifrost n° 61
Macy Minnot a consacré beaucoup de temps et d’énergie au Biome de Callisto, un projet auquel collaborent ingénieurs et scientifiques locaux et d’autres, venus de Grand Brésil. Malheureusement un sabotage et plusieurs meurtres empêchent la mise en service de l’écosystème artificiel et ruinent temporairement la carrière de Macy, qui se réfugie dans la colonie extro d’A l’Est d’Eden où elle subira un certain nombre de vexations avant de comprendre qu’elle, terrienne non post-humaine, n’y aura jamais sa place.
Sur Terre et dans les colonies extros, l’affaire du Biome de Callisto dégénère, pour le plus grand plaisir du général Arvam Peixoto, désireux d’avoir sa guerre, enfin. Sur Terre encore, prise dans un tourbillon d’intrigues de plus en plus dangereuses, la sorcière génétique Sri Hong-Owen tente à la fois de sortir de la cuve de merde dans laquelle elle s’est plongée jusqu’au cou, de sauver la vie de ses deux fils et de gagner la partie qu’elle joue depuis très longtemps avec la sorcière génétique extro, Averne.
Et quelque part, des surdoués sont entraînés pour cette guerre tranquille (nouvelle guerre froide) qui s’annonce. Au départ, ce devait être des chimpanzés, mais les pauvres bêtes finiront mises à mort. Les garçons (qui viennent du Brésil) chargés de prendre leur place sont autrement plus terrifiants.
Ceux qui espèrent les « scènes de combat époustouflantes » promises par Tom Clegg sur le blog Bragelonne (et par la couverture de Sparth, dans une moindre mesure) en seront pour leurs frais ; La Guerre tranquille n’est pas un space opera pif-paf-boum à la David Weber, c’est un roman de politique-fiction et d’espionnage, plutôt ardu, situé dans un futur où le Système solaire a été colonisé (ça défouraille un peu, certes, notamment sur la fin, mais on met du temps à y arriver).
Bien que bon, il y a fort à parier que ce roman adipeux, complexe, morcelé, rate sa cible. Il y est beaucoup question de politique (de fascisme écologique et de démocratie directe, entre autres), de moyens de pression realpolitik, d’écologie et de biologie (avec un traitement hard-SF dans les deux cas). D’ailleurs, à ce sujet, McAuley en fait des tonnes pages ; c’est souvent fascinant, mais aussi parfois rebutant quand on ne maîtrise pas le sujet à fond.
Les Diables blancs (critiqué par votre serviteur dans Bifrost n°41) était à la fois un thriller (adipeux) et un puissant coup de pied au cul asséné à Michael Crichton. Première moitié d’un diptyque de science-fiction polyphonique, La Guerre tranquille revisite volontiers les thèmes centraux de plusieurs œuvres de S-F archiconnues comme La Stratégie Ender/Etoiles, garde à vous ! (les scènes d’entrainement des surdoués) et la Trilogie Martienne de Kim Stanley Robinson (terraformation et assassinat politique en entrée de jeu). On a d’ailleurs davantage de plaisir à voir la couche d’écologie hard-SF que McAuley ajoute au corpus S-F actuel qu’à suivre les aventures de Macy (pas très charismatique/sympathique) et les manœuvres politiques tordues de Sri. Au rang des défauts, on notera de longues tartines d’exposition et des dialogues qui répètent parfois ce qu’on sait déjà (des écueils courants dans le joli monde du thriller de plage et de plus en plus fréquents en S-F). A contrario, on soulignera la traduction impeccable de Jean-Daniel Brèque, la profondeur des passages biologiques et écologiques, la maîtrise de deux ou trois scènes d’action, bluffantes.
En conclusion, il n’y a que quand la seconde partie, Gardens of the sun, sera parue en français (suite qui semble plus mouvementée, si on en croit la critique d’outre-Manche) qu’on verra l’importance réelle de ce roman aux personnages complexes, riche en passages fascinants et en situations originales. C’est pas dans notre caddie bifrostien, mais avec plus de rythme, cent cinquante pages en moins, ça aurait pu.