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Les critiques de Bifrost

Critique parue en octobre 2000 dans Bifrost n° 20

Dune. À mon sens, l'un des trois plus grands chefs-d'œuvre de la SF avec Tous à Zanzibar de Brunner et En Terre étrangère de Robert A. Heinlein. Il y a près de 20 ans que j'ai lu Dune et j'en ai gardé le souvenir d'un livre génial mais difficile. Exceptionnellement ardu. N'étais-je pas alors insuffisamment armé pour aborder le livre ? Peut-être. Mais l'avis est largement partagé. Et que l'on prenne le problème comme on veut : cette Maison des Atréides ne joue pas dans la même division. On est plus proche du film de David Lynch, voire des « séquelles » de Star Wars dues à Kevin J. Anderson, que de feu Frank Herbert. On avait reproché à Dune d'être ardu, à ses suites ou aux collaborations avec Bill Ransom de l'être trop ; ce ne sera pas le cas cette fois : Frank Herbert est bel et bien mort et il le reste.

Il y a des personnages de Frank Herbert dans un univers de Frank Herbert, l'odeur de l'épice et des vers de sable. Mais ce n'est pas Dune. C'est du space opera standard. Rien de plus que, par exemple, la Trilogie des Conquérants de Timothy Zahn. Force est d'admettre que ça ne fait guère avancer le schmilblick. De plus, il y a encore la place d'un tome au moins entre La Maison des Atréides et Dune… Et là, l'odeur est davantage celle du billet vert que celle du Mélange ! Dieu seul sait combien les marchands de tapis de l'édition ont prévu de nous fourguer de ces « préquelles ».

Voici une assez bonne histoire avec ce qu'il faut de machinations et de péripéties, mais où est l'intérêt problématique qui faisait tout le sel de Dune ? Frank Herbert ne cessait d'interroger le pouvoir, le rôle particulier de la religion dans son exercice. Dans La Maison des Atréides, ce n'est plus qu'un background…

L'univers de Dune est une société féodale dont les principales forces en présence sont :

> le Landsraad — c'est à dire la noblesse, parmi laquelle on distinguera trois principales familles de protagonistes, les Atréides, leurs ennemis héréditaires, les Harkonnen, et la famille impériale, les Corrino.

> la CHOM (Compagnie des Honnêtes Ober Marchands) qui détient le monopole du commerce dans l'Imperium.

> le Bene Gesserit, un ordre religieux féministe et manipulateur qui crée des superstitions, mène un programme eugéniste et a pour dessein de se hisser au pouvoir.

Tout cet univers gravite autour de l'épice de la planète Dune, que toutes les parties en présence consomment et qui est sous le contrôle des Harkonnen. L'Imperium a été instauré après le Jihad Butlérien — croisade contre la cybernétique et les ordinateurs qui avaient asservi l'humanité et qui, depuis, sont tabou, tabou codifié dans la Bible Catholique Orange qui fonde la religion.

Dans La Maison des Atréides, trois blocs s'opposent. Les Corrino et l'empereur s'allient au Bene Tleilax — des biologistes honnis — pour produire de l'épice de synthèse et ne plus dépendre des Harkonnen. Pour ce faire, Tleilax et Impériaux conquièrent Ix, monde high tech fief des Vernius alliés des Atréides. Afin de contrer les visées impériales qui les ruineraient, les Harkonnen tentent de dresser l'un contre l'autre Tleilax et Atréides et de faire d'une pierre deux coups.

Kevin J. Anderson, faiseur de Star Wars, n'était certainement pas l'auteur le mieux indiqué pour cette « préquelle ». Bill Ransom, qui a écrit trois complexes romans en collaboration avec Frank Herbert, aurait probablement obtenu un résultat, sinon meilleur, du moins davantage conforme à l'esprit de Dune. Orson Scott Card, d'un point de vue thématique, est l'un des auteurs les plus proches de Frank Herbert — passionné lui aussi par les jeux de la religion et du pouvoir. Leurs optiques respectives étaient-elles compatibles ? Card aurait-il pu en faire abstraction ? Vaine spéculation…

Reste que nous sommes ici en présence de space opera qui ne prend pas le chou. La lecture est facile, agréable, mais n'apporte rien sur le plan intellectuel. On conseillera davantage La Maison des Atréides aux fans de space op' à la Star Wars qui apprécient les épisodes rédigés par Kevin J. Anderson qu'aux inconditionnels de Dune. On est à cent lieues en dessous de Dune, loin même de La Culture d'un Iain Banks. Ce livre ne marquera pas la SF, ni même le millésime 2000.

Jean-Pierre LION

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