Poul Anderson s'approprie les « Dits » constituant la saga de Hrolf Kraki, cinq chants mis en forme au XIe siècle. L'équivalent de la transcription akkadienne faite par Silverberg pour Gilgamesh, roi d'Ourouk (l'Atalante), ou du fascinant Grendel de John Gardner (Denoël) contant les exploits de Beowulf vu par le monstre. Beowulf qui n'hésite pas à donner un coup de main aux Skjoldung, lignage tourmenté dont est issu Hrolf Kraki. Car la famille régnante du Danemark n'a pas attendu Hamlet pour donner dans la chicane familiale. Ici, point de col en dentelles, mais des palais de planches à l'atmosphère saturée de fumée, de relents d'hydromel et de corps mal lavés. Sexe et batailles rythment la saga, deux moteurs du destin qui détermineront l'existence de Hrolf, et sa fin. D'entrée, la maison Skjoldung est frappée par le drame : Frodi tue son frère Halfdan, épouse sa veuve et s'approprie la couronne du Danemark. Hroar et Helgi, fils du monarque défunt, fuient avant d'obtenir vengeance. Hroar dirige le pays en souverain avisé tandis que Helgi, roi de guerre, s'attire la malédiction des entrailles. D'une Elfe, il a une fille, Skuld, qui conspirera à perdre le royaume. Du viol de la reine Olof naît également une héritière, Yrsa, dont il fera son épouse. Hrolf est donc un fils incestueux, mais à la santé de chêne qui lui vaudra le surnom de Kraki, ou « tronc ». Il s'entoure de champions issus d'un homme-ours, combat les bersekers et parvient à unifier le pays. Mais il lui reste à délivrer sa mère Yrsa, contrainte d'épouser Adils de Suède, le roi sorcier. Hrolf et ses douze braves iront au combat, dans l'assurance de vaincre mais aussi de mourir car ils ont bafoué Odin…
On l'aura compris, voici un roman qui sent sous les bras. Une pure jouissance de lecture, rendue disponible au lectorat français par une traduction remarquable qui parvient à préserver le rythme des chants, mais aussi la modernité du style d'Anderson. Nul doute que l'éditeur offrira à Pierre-Paul Durastanti deux pucelles nattées qui fourrageront dans sa barbe. Enfin, notons que Poul Anderson avait déjà mis en scène le roi Helgi dans « L'Homme qui était arrivé trop tôt » (Histoires de voyages dans le temps, Livre de Poche), nouvelle qui voyait un soldat contemporain projeté au VIe siècle et défaillir à l'odeur de pieds vikings. Quand je vous dis que ce n'est pas de la littérature pour buveurs de verveine, parole de Loki !