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Les critiques de Bifrost

Critique parue en janvier 2012 dans Bifrost n° 65

La « Série noire » nous annonce 2012 dans la joie. Après Préparer l’enfer (de Thierry Di Rollo), la désormais classique collection s’offre une seconde anticipation politique à la fois glaçante et lourde, signée Jérôme Leroy. Si Le Bloc n’a rien du roman de SF et tout du polar noir bien serré, son thème lui ouvre pourtant les pages de Bifrost : avant les élections présidentielles qui voient l’échec de la droite, de la gauche et du modèle so-cial en général, les émeutes se généralisent. Alors que le chaos et la violence urbaine s’installent en France, un seul parti semble en mesure de tirer son épingle du jeu, Le Bloc, dont plusieurs membres pourraient faire leur entrée au gouvernement… avant les prochaines élections qui, en toute logique, devraient voir la présidente du Bloc l’emporter haut la main. Jusqu’ici, rien de nouveau, sauf que Le Bloc est un Front National non déguisé, que plusieurs personnages sont immédiatement identifiables, que l’hystérie sécuritaire nous rappelle quelque chose et que Jérôme Leroy sait de quoi il parle. Bilan, une fable politique très sérieuse qui évite tout penchant didactique en se plongeant dans la tête de deux protagonistes radicalement différents, mais liés par la même idéologie postfasciste dangereusement séduisante. On pense inévitablement à L’Affaire N’Gustro de Manchette, qui mettait également en scène un nazillon sympathique et retors. Ici, le procédé fonctionne tout aussi bien. C’est d’ailleurs là l’intérêt principal du roman : nous faire voir le monde à travers les yeux de deux personnages a priori peu recommandables, mais forcément humains et touchants, dans la mesure où le lecteur traverse les épreuves de la vie avec eux. Dès lors, il est difficile de ne pas s’attacher, comprendre, compatir et, au final, accorder du crédit à leur mode de pensée. La lecture de Le Bloc laisse donc un goût amer dans la bouche, et même si l’on sait que l’un des points forts du populisme consiste à flatter la réalité dans ce qu’elle a de plus simpliste sous prétexte de nous la faire comprendre, la fascination demeure. De quoi donner des sueurs froides aux plus engagés d’entre nous, même si Jérôme Leroy relâche la pression avec un final un peu attendu et des situations un peu trop caricaturales (littérairement s’entend) pour accrocher véritablement. Reste que ce texte vaut largement le détour et se lit justement comme un bon roman noir. C’est — aussi — le but. Très cinématographique, Leroy pose son intrigue en une seule nuit. La nuit, celle où tout se joue, celle où Le Bloc va enfin faire son entrée au gouvernement, celle où la patronne et quelques cadres ont rendez-vous avec le ministre de l’Intérieur. Antoine — le mari de la patronne — vide tranquillement son bar en attendant le retour de sa femme dont il est toujours éperdument amoureux. Pour Stanko, fidèle ami d’Antoine et chef du service d’ordre, c’est une toute autre histoire. Seul dans une chambre, il attend, trahi par tout le monde. Qui dit négociations dit sacrifices. Et l’une des conditions, c’est justement la peau de Stanko, à qui la police a des raisons d’en vouloir. Mais attention, c’est aux sbires du Bloc de s’en charger. Pas question d’impliquer qui que ce soit d’autre. Le Bloc va devoir faire le ménage pour obtenir sa place au conseil des ministres. Alors tout le monde est d’accord. Exit Stanko. Une sentence de mort qu’Antoine a lui aussi approuvé. Pourtant, les deux hommes ont vingt-cinq ans d’amitié derrière eux. Vingt-cinq ans qui les ont vus traverser les épreuves, les luttes et les combats (des plus policés aux plus sanglants). Vingt-cinq ans qui disparaissent ce soir.

On le voit, Leroy ne lésine pas sur la tragédie. C’est sans doute le seul défaut du livre. Antoine est un intellectuel écœuré par la lâcheté de ses contemporains. Stanko un skin au passé douloureux. Tout ceci fleure bon le lyrisme, et, souvent, le ridicule. Mais on l’a dit, ces petits défauts ne doivent pas rebuter le lecteur curieux. Il suffit de fermer les yeux sur la cinématographie et se laisser emporter par le vent de l’histoire. Tout fonctionne. Tout est logique. Tout est normal.

Le soir du 31 décembre 2011, j’espère que vous avez réfléchi avant de souhaiter bonne année à vos invités.

Patrick IMBERT

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