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Les critiques de Bifrost

Critique parue en octobre 2012 dans Bifrost n° 68

[Chronique comme à Nicolas Eymerich, InquisiteurLes Chaînes d'Eymerich et Le Château d'Eymerich.

La couverture est sombre mais d’une élégante sobriété, avec sa police « Inquisition » qui dessine une croix sur le premier volume. La Volte présente l’intégrale du cycle de Nicolas Eymerich, à ce jour incomplet en France. Après la reprise des deux premiers volumes, nécessaires pour comprendre la série, paraît le septième volume du cycle, inédit, le huitième si on compte le recueil de nouvelles Métal Hurlant.

Nicolas Eymerich est cet inquisiteur intransigeant du milieu du XIVe siècle, uniquement porté par sa foi et son devoir, en proie à des manifestations diaboliques sur lesquelles il enquête avec la maestria d’un Sherlock Holmes, éradiquant les hérésies avec une expéditive insensibilité. Mais il s’agit de science-fiction, et l’intérêt de la série réside avant tout dans la découverte du voyage dans le temps grâce à une particule plus rapide que la lumière, le psytron, qui vibre sous l’action des neurones, autrement dit de la pensée : il est vrai qu’on se transporte instantanément ailleurs par la pensée. Inspirée de la théorie des cordes, cette vibration des particules dans un espace sensible aux psytrons, nommé Psyché, débouche sur le dédoublement du penseur lors d’un voyage dans le passé. C’est ainsi que dans le futur le Malpertuis, vaisseau spatial avec à son bord un curé fanatique, tente d’aborder une planète nommée Olympe pour y récupérer des créatures mythologiques encore existantes, mais se retrouve par erreur à l’époque d’Eymerich. Les interférences sont la cause des troubles constatés à l’époque de ce dernier. Dans le premier volume, on voit Eymerich manœuvrer très habilement pour mériter son poste d’inquisiteur malgré son jeune âge. Trois époques s’interpénètrent superbement. On regrettera cependant que la traduction de Quadruppani n’ait pas été révisée pour ce qui concerne l’em-ploi de certains termes comme le flogistique pour phlogistique, ou ces curieux neutrins pour désigner les neutrinos.

C’est précisément l’interpénétration des époques qui fait l’intérêt de la série, tissant des liens qui font sens. Dans Les Chaînes d’Eymerich, le procédé se trouve consolidé : en établissant des relations entre la résurgence d’une hérésie cathare en Savoie, des expériences génétiques commencées dans l’Allemagne des années 30 et poursuivies dans la Roumanie de Ceaucescu, des trafics d’organes au Guatemala, et encore un inquiétant futur en guerre où une organisation eugéniste hitlérienne, la Rache, poursuit sa quête d’immortalité, Evangelisti montre que chaque exaction est un anneau de la même chaîne allant des sombres heures du passé aux périodes modernes encore plus terrifiantes. Nicolas Eymerich, dangereux fanatique, dépeint comme un être qui agit dans ce qu’il croit être juste, ne torturant jamais pour le plaisir, apparaît finalement plus sympathique que bien des contemporains dénués de scrupules. Il a au moins son sens de la justice, discutable et excessif, qui l’empêche de franchir certaines lignes.

C’est en partie sur cette intransigeance que repose l’intrigue du Château d’Eymerich. L’officier nazi ne dédaigne pas coucher avec les servantes juives du camp de concentration où il cherche à créer le soldat invincible ; des frères dominicains sont prêts à utiliser la magie juive, et donc à se damner, pour sauver leur Eglise ; Pierre le Cruel, assiégé dans son château, a assis son pouvoir par des compromis avec les ennemis naturels de la Chrétienté, les Sarrasins et les Juifs qui le protègent. Ces derniers ont équipé son château de dix tours et l’ont truffé de souterrains qu’il ignore ; le motif d’ensemble reproduit un dessin kabbalistique destiné à un rite à venir. Trois intrigues s’entrecroisent donc à nouveau. Eymerich appelé pour contrer des manifestations diaboliques dans la forteresse de Pierre le Cruel, déjà assiégée par son beau-frère Henri de Trastamare, en passe de lui ravir le trône de Castille, lutte contre maintes créatures fantasmagoriques, mais aussi, qui l’eût cru, contre la tentation de la chair. Le château lieu de complots, le château hanté et celui du savant fou : Evangelisti joue de tous ces motifs pour déployer les registres du fantastique dans cet épisode hautement symbolique, où la répétition même de certaines scènes ou répliques, qui pourraient passer pour des erreurs d’écriture, tisse un réseau de nature incantatoire. Eymerich, symbole de forteresse imprenable, se sent fragilisé en découvrant ses faiblesses, plus horrifié par ses sentiments que par les désirs charnels. Par ailleurs contesté dans son autorité par ses pairs, désorienté, c’est un Eymerich plus humain qui est présenté ici. Le final, paroxystique et délirant, clôt superbement cet opus où la noirceur se teinte parfois d’un humour sarcastique. Jubilatoire.

L’ensemble des reprises et inédits devrait se poursuivre jusqu’en 2014. Les dix volumes de la saga méritent bien cette belle présentation.

Claude ECKEN

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