Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? Fréquemment associée à la théorie du chaos, la question du météorologue Edward Lorenz convient aussi au roman de Gert Nygårdshaug, l’image du papillon y provoquant un tout autre genre de chaos…
Né dans un village de la selva sud-américaine, Mino Aquiles Portoguesa en connaît tous les dangers. Il sait également que les lieux recèlent des trésors. Une biodiversité foisonnante qui ne cesse de l’émerveiller. Dès son plus jeune âge, le garçon s’intéresse aux papillons. Une passion dont il fait une source de revenu en les chassant pour son père qui les re-vend ensuite à des collectionneurs. L’existence de Mino aurait pu se cantonner à ce bout de forêt s’il n’avait été contraint de fuir devant l’irruption d’une société pétrolière. La population du village exterminée, sa famille y compris, il commence alors le long apprentissage de la vengeance.
L’engagement politique de Gert Nygårdshaug trouve sans doute sa forme littéraire la plus aboutie avec Le Zoo de Mengele. Premier tome d’une trilogie, conçu comme un pamphlet contre la mondialisation, l’ouvrage oscille entre la fable et le thriller de politique fiction. Un curieux cocktail qui ne manque toutefois pas de qualités. L’Amérique du Sud de Mino est en grande partie imaginaire. Elle condense pourtant tous les malheurs des pays en voie de développement, passés à la moulinette d’une mondialisation prédatrice. Les Indiens, la faune et la flore sont ainsi sommés par les armeros, les comenderos et autres carabineros de s’effacer devant les barrages hydroélectriques, les plantations de palmiers à huile, les exploitations minières ou pétrolières. Avec la bénédiction des divers gouvernements, les gringos sacrifient sur l’autel de la croissance des hectares de forêt, éradiquant au passage les espèces endémiques, indigènes y compris. La selva cède la place à une civilisation gangrenée par le consumérisme, l’alcoolisme, l’acculturation et la pauvreté, où on ne peut guère compter sur les mouvements révolutionnaires pour inverser la tendance.
Au-delà de la fable écologique, Le Zoo de Mengele aborde le sujet de l’éco-terrorisme. A bien des égards, l’itinéraire suivi par Mino apparaît comme une éducation à la lutte armée prônant la formule : « la fin justifie les moyens ». Nygårdshaug ne semble en effet pas partisan du développement durable impulsé par le rapport Bruntland deux ans avant la parution de son roman en Norvège. Il préfère tailler dans le gras de l’humanité en commençant par la tête. Mino et ses amis s’érigent ainsi en défenseur de Gaïa, assassinant ceux qui lui portent tort. Et tous y passent sans exception, patrons de multinationales, dirigeants de fonds spéculatifs, intermédiaires complices et médias. Une violence radicale renvoyant les sabotages du Gang de la clef à molette au rang de gamineries sans conséquences.
Grand succès de librairie lors de sa parution en 1989, Le Zoo de Mengele reste plus que jamais d’actualité à l’heure des conférences mondiales sur le climat et la biodiversité. Il peut se lire comme une catharsis face à l’immobilisme d’une humanité enferrée dans ses contradictions. Une bien maigre consolation au regard du désastre.