Frank HERBERT
JEAN-CLAUDE LATTÈS
Critique parue en juillet 2011 dans Bifrost n° 63
Les Chems sont immortels, invulnérables et présents partout dans la galaxie, même sur Terre. Fraffin et Kelexel sont des Chems. Le premier est directeur d’une historia-nef et le second investigateur pour la Primatie. Avec le concours de tout son équipage, Fraffin utilise les Terriens et modifie au besoin leur comportement afin de mettre en scène des spectacles de divertissement pour son peuple. Invisibles grâce à leur technologie avancée, les Chems ont pour principal ennemi l’ennui.
Kelexel a été envoyé sur Terre par le Bureau de répression des crimes afin de découvrir le secret de la réussite trop spectaculaire de Fraffin. Persuadée que le direc-teur et son équipage enfreignent les lois, la Primatie exige des preuves de leur déloyauté avant de les punir sévèrement.
Pendant ce temps, sur Terre, le docteur Andrew Thurlow, psychologue, est appelé en pleine nuit pour une urgence par le shérif du comté. Joe Murphey, le père de son ex-fiancée Ruth, a tué son épouse Adèle avant de se retrancher dans les bureaux de sa société. L’intervention de Thurlow lui évitera de tomber sous les balles des adjoints du shérif. Pendant cet incident, Thurlow remarque la présence des Chems qui influencent le comportement de Joe Murphey. Bien malgré lui, il est sur le point de découvrir le plus grand des secrets…
Les Fabriquants d’Eden débute comme un roman policier. Ce petit artifice nous permet de nous familiariser rapidement avec l’univers des Chems, de comprendre leurs buts et le motif de leur présence sur Terre. Par ce biais, nous découvrons aussi leur amoralité et leur décadence, illustrée par leur comportement envers le docteur Thurlow et son ex-petite-amie Ruth.
Petit intermède entre Dune et le Messie de Dune, le présent roman aborde plusieurs des sujets de prédilection d’Herbert : la folie, l’immortalité, le pouvoir — ici technologique —, la limite entre simples mortels et Dieux. Le thème le plus présent est celui de l’immortalité. Grâce à un procédé de rajeunissement, les Chems peuvent se régénérer et figer complètement l’état de leur corps. « Le temps est notre jouet » ou « Qu’est-ce que le temps pour un Chem ? » sont en quelque sorte leurs devises. Ce qui n’est pas sans conséquence : ils souffrent de l’ennui, évidemment, et leur sentiment de supériorité se transforme souvent en une extrême arrogance envers les autres races : « Ils sont la finitude et nous l’infini. »
C’est suite aux contacts avec des humains, et plus particulièrement avec Ruth, que Kelexel va commencer à remettre en question le droit des Chems à disposer du destin des autres. Lui apparaît alors la limite entre le bien (utiliser leurs pouvoirs pour guider les autres races) et le mal (manipuler les humains pour le plaisir). Parallèlement, le docteur Thurlow, dans sa quête désespérée pour sauver son patient Joe Murphey, changera d’avis sur la folie (son fonds de commerce) et la responsabilité pénale des malades mentaux. L’occasion pour l’auteur d’aborder le thème de la peine de mort : une question qui divise encore aujourd’hui les pays « civilisés »…
Les Fabriquants d’Eden n’a certes pas la puissance de Dune, mais il a toutes les qualités d’un bon roman classique de la SF.