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Les critiques de Bifrost

Les Vaisseaux du temps

Stephen BAXTER
LIVRE DE POCHE
634pp - 8,60 €

Critique parue en avril 2013 dans Bifrost n° 70

C’est avec ce fort roman, suite directe de La Machine à explorer le temps de Herbert G. Wells, que le public français devait découvrir, en 1998, Stephen Baxter, romancier qui s’imposerait bientôt comme l’un des auteurs de science-fiction contemporains les plus importants.

Les Vaisseaux du temps commence exactement là où finissait le roman de Wells. Revenu à son époque, en 1891, le voyageur temporel n’a qu’une envie : repartir dare-dare dans l’avenir pour sauver, des terrifiants Morlocks mangeurs de chair humaine, la belle Weena dont il est manifestement épris.

Baxter se livre ici à un exercice de style « à la manière de » Wells. Ce roman, écrit juste un siècle après celui de son compatriote, se présente également comme un récit rédigé par le voyageur et doit donc conserver sa tournure d’esprit du XIXe siècle et le style particulier de l’époque. Baxter s’en sort fort bien.

Cependant, H. G. Wells aurait été totalement incapable d’écrire Les Vaisseaux du temps ! Et pour cause. La science a progressé en ce siècle plus qu’en aucun autre, au point de devoir générer un genre littéraire pour se mettre en scène. Quant à la science-fiction, elle n’existait tout simplement pas à l’époque de Wells qui a été considéré, a posteriori, comme en étant le principal cofondateur avec Jules Verne. Le genre, s’appuyant sur la science, a évolué avec elle. Des traitements secondaires de la thématique du voyage dans le temps, tel le paradoxe temporel et les moyens de le circonvenir, sont apparus et constituent autant de figures imposées pour Stephen Baxter.

Le voyageur retourne donc fissa dans l’avenir pour sauver Weena, mais rien ne va plus. Le futur n’est plus ce qu’il était. Cent cinquante mille ans avant l’époque de Weena, le Soleil a disparu, la Terre entière est livrée à l’obscurité et arpentée par les Morlocks. En fait, le Soleil n’a pas vraiment disparu : les Morlocks ont construit tout autour une sphère de Dyson pour accéder à un barreau supérieur de l’échelle civilisationnelle de Kadarshev. Hormis leur physique peu avenant au goût d’un homme de l’époque victorienne, et auquel le voyageur peine toujours à se faire, les Morlocks n’ont plus rien à voir avec les sinistres anthropophages de Wells. Ils ont bâti une formidable civilisation sur l’extérieur de la sphère, tandis qu’à l’intérieur, où brille le soleil encapsulé, des Eloïs, plus proches du voyageur, se livrent à des guerres apocalyptiques. Le récit qu’il a laissé lors de son bref retour en 1891 semble avoir suffi à modifier l’avenir, si on en croit le Morlock Nebogipfel qui va désormais accompagner le voyageur dans ses diverses pérégrinations temporelles. Un compagnon aux informations et aux explications fort utiles au voyageur (mais aussi, bien évidemment, à l’auteur, qui trouve là un moyen d’exposer la science mise en scène dans Les Vaisseaux du temps). Si les Morlocks de Wells nous apparaissaient bien sous les mêmes auspices qu’au voyageur, notre jugement sur ceux de Baxter sera différent de celui du narrateur. A travers Baxter, on porte un autre regard sur l’arrogance impérialiste occidentale de l’époque victorienne et, plus d’une fois, le voyageur se sent dans le rôle de la brute épaisse, en particulier après avoir battu à grands coups de tisonnier des enfants morlocks en arrivant à l’ère de la sphère, ou pour avoir frappé au visage Nebogipfel au moment de partir pour le Paléocène.

Après nous avoir fait découvrir l’extraordinaire civilisation morlock éprise de savoir, Baxter exécute une autre figure imposée du voyage temporel, vers le passé cette fois : la fatidique rencontre du voyageur avec lui-même, plus jeune, et l’inévitable paradoxe qui en découle (à moins de faire définitivement son deuil d’un futur/présent à nul autre pareil, à jamais perdu dans la plurimondialité d’Everett).

On verra la guerre contre les Allemands et le voyage dans la préhistoire qui sont autant de figures habituelles du thème. La guerre s’est étendue dans le temps, et lors de chaque nouvelle itération du voyage temporel, le voyageur et Nebogipfel plongent toujours plus loin. Ils découvrent des trames temporelles de plus en plus vertigineuses où l’enjeu est d’améliorer l’univers, rien de moins !

Bon nombre de romans de Baxter tendent vers une apothéose qui apparaît soit dans une sorte de coda finale, comme dans Titan ou Poussière de Lune, soit en progressant de plus en plus vite et fort, comme ici, où semble s’annoncer la trilogie des « Univers Multiples ».

Les Vaisseaux du temps est l’un des romans les plus vertigineux, mais aussi des plus aboutis de l’auteur. Une brillante réussite dont Wells aurait pu être fier.

Jean-Pierre LION

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