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Les critiques de Bifrost

Mémoires de sable

Jacques BARBÉRI, Emmanuel JOUANNE
LA VOLTE
384pp - 18,50 €

Critique parue en octobre 2015 dans Bifrost n° 80

Mémoires de sable est un livre écrit à quatre mains, une « collaboration posthume ». Rien à voir cependant avec les quelques mauvais souvenirs que cette désignation peut impliquer (Lovecraft/Derleth, par exemple ?) : le projet est ici bien autrement légitime. Jacques Barbéri, en effet, était un proche de feu Emmanuel Jouanne ; complices au sein du groupe Limite, ils avaient écrit plusieurs textes ensemble (dont un certain nombre de nouvelles reprises dans les recueils barbériens chez la Volte, ainsi que dans l’anthologie Aux limites du son). Rien d’improbable, dès lors, à ce que Richard Comballot, qui avait hérité d’un manuscrit de roman inachevé de Jouanne, ait suggéré à Jacques Barbéri de le finir, pour une publication à la Volte (présageant peut-être d’autres publications de Jouanne ? L’idée est évoquée dans la touchante postface, on est en droit d’espérer que ce projet se concrétise…). Il faut dire que les univers développés par les deux auteurs ne manquent pas de points communs, notamment dans leur goût du surréalisme, ou plus généralement du bizarre. Et, au final, bien loin d’être un roman bancal du fait de sa gestation hasardeuse, Mémoires de sable apparaît cohérent et digne des deux auteurs, dont les plumes se mêlent pour un résultat iconoclaste.

Le stathouder Arec (son titre change régulièrement) est un fonctionnaire de la PSI (Protection Surveillance Intervention). Un effaceur, plus précisément : son boulot consiste à éliminer les individus contaminés par les autres… dont on ne sait pas grand-chose en définitive. Sa dernière mission concernait une certaine Anjélina Sélène, sur la plage de Houlgate. En bon professionnel, Arec exécute son travail et rentre dans son appartement du Bunker, où sont logés ses semblables, appartement qu’il partage avec le mystérieux et charismatique Kô. Le problème, c’est qu’il dépend d’une administration imprévisible et étouffante, entre Kafka et Orwell : la Tête et la Girouette s’interrogent à son propos, questionnent son efficacité et sa loyauté, et Arec se retrouve bientôt contraint à fuir…

Kô le suivra un peu plus tard (plus habilement, sans doute), et se joindront aussi à ce petit groupe une femme, Lia, un ange, Ismaël, et une chicherie, chauve-souris porcine évoluée répondant au nom de Vesper. Tandis que des agents de la Tête se mettent à leur poursuite, notamment l’inspecteur Vega…

Ces personnalités assez baroques se lancent ainsi dans une improbable odyssée sous pression, d’abord dans le monde souterrain du Bunker — qu’ils finiront par quitter le moment venu. Cette fuite éperdue les conduira à questionner leur univers, ses tenants et aboutissants, et à lever le voile sur les autres. Et le simple fonctionnaire Arec de se transcender, enfin, dans une quête d’une tout autre ampleur ; on le lui répète en effet : il est important…

Implication dans Limite ou pas, au-delà des polémiques que le groupe avait pu susciter en son temps, Mémoires de sable s’avère avant tout un divertissement, et, autant le dire, une grosse rigolade, résonnant des éclats de rire complices des deux auteurs, par-delà les abîmes séparant la première ébauche du roman par Jouanne et son achèvement par Barbéri bien des années plus tard. Ce qui peut surprendre, à certains égards, mais ne fait que rendre ce projet plus sympathique en définitive.

Oui, Mémoires de sable est sympathique, et marrant ; on sourit régulièrement tandis que les pages défilent, même si on peut à bon droit renâcler devant quelques traits d’humour lourdingues assez récurrents dont on suppose (et espère) qu’ils ont été commis en pleine connaissance de cause. C’est à la fois ce qui en fait une réussite, mais c’est aussi sa… limite (aha). Sans faire dans le dénigrement du pur divertissement, on admettra tout de même que les deux auteurs ont fait bien mieux, et que cette pochade n’est probablement pas la meilleure introduction à leurs œuvres respectives. Mémoires de sable n’a en effet rien d’indispensable ou de bouleversant, ce n’est pas son propos ; il se lit néanmoins fort bien — sur la plage, par exemple, disons celle de Houlgate ? Tout sauf pesant et solennel, cet éclat de rire complice évacue au loin toute considération morbide, que l’on pouvait redouter, pour divertir son lecteur, ce qui est déjà pas mal… et même, en y réfléchissant un peu après coup, ce qui s’imposait sans doute comme le plus sympathique des hommages.

Bertrand BONNET

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