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Les critiques de Bifrost

Monstrueusement vôtre

Ray BRADBURY
UGE (UNION GÉNÉRALE D'ÉDITIONS)
304pp - 22,87 €

Critique parue en octobre 2013 dans Bifrost n° 72

[Critique commune à Monstrueusement vôtre et Il faut tuer Constance.]

Ray Bradbury, loin de s’être cantonné à la seule sphère de ce que l’on appelle, par raccourci, les littératures de l’Imaginaires, s’est plus souvent qu’à son tour essayé au polar —, notamment sous l’impulsion de Leigh Brackett, comme le souligne Pierre-Paul Durastanti dans le présent dossier. Ainsi avons-nous sélectionné deux de ces livres pour le présent focus ; deux formats différents, deux époques.

D’abord un recueil de nouvelles, écrites dans les années 1940, quatorze au total, et réunies pour l’édition française sous le titre Monstrueusement vôtre. Pour ce premier titre, et malgré la critique élogieuse de Patrick Raynal dans Le Monde à la sortie du livre en France, en tout cas l’extrait présenté en quatrième de couverture de l’édition 10/18, on restera pour notre part sur l’idée que les nouvelles présentées dans ce recueil n’étaient que les ébauches d’un « apprenti écrivain », d’un écrivain en devenir. D’abord le recueil souffre évidemment de quelques « vieillesses ». Les décors, les personnages, les sujets abordés, tout est suranné. Dans certains cas, cela peut avoir son charme : là, c’est globalement raté. On a le sentiment de traverser une époque ni assez ancienne pour être intéressante, ni assez contemporaine pour nous laisser quelques repères. Enfin, il y a dans l’écriture de Ray Bradbury quelque chose de l’ordre du naïf, presque de l’angélisme, et ce à tous les niveaux : structuration des intrigues, description des personnages, et des chutes totalement prévisibles. Dans la préface au recueil, Bradbury dit avoir une préférence pour les nouvelles « Une longue nuit d’octobre » et « La Dame dans la malle ». On partagera ce sentiment. Ce sont les seules qui portent en elles assez de noirceur pour surpasser les défauts cités plus haut. Comme quoi le maître était objectif quant à la qualité de sa production.

Ensuite le roman Il faut tuer Constance, dernier volet d’une trilogie consacrée à Constance Rattigan, actrice hollywoodienne, ledit roman pouvant se lire de manière indépendante. Le pitch : l’actrice, complètement désemparée, se présente chez un ami écrivain en lui expliquant que quelqu’un souhaite sa mort. Elle a reçu une liste comportant les noms de ses amis et proches, une liste de morts, passés ou à venir. Le romancier, troublé par cette affaire, décide d’enquêter et de résoudre l’énigme. Les chapitres sont très courts, les personnages farfelus et stéréotypés arrivent au fil de l’eau sans vraiment être introduits. On ne sait pas qui ils sont, d’où ils viennent et encore moins où ils vont ! En tout cas, pas au service de l’intrigue. Les dialogues sont plutôt pauvres, dans le sens où ils n’apportent pas grand-chose au développement de l’histoire et ne servent qu’à affadir des personnages déjà peu attrayants. Bref, on a le sentiment que Bradbury s’est perdu dans sa propre écriture, et nous avec par la même occasion… on perd le fil, l’objectif, le sens. Peu d’intérêt, donc.

Ray Bradbury est un auteur majeur dans les mondes Imaginaires, mais certainement pas dans le polar, et encore moins dans le roman noir. Pour les mateurs de ce genre, on conseillera volontiers le dernier livre de François Guérif, emblématique directeur de la collection « Rivages / noir », Du Polar, entretiens avec Philippe Blanchet, aux éditions Payot. L’histoire du roman noir en France et ailleurs, des trésors cachés, une mine de références à en faire pâlir votre banquier tant votre compte pourrait en prendre un sacré coup, mais là… cela en vaut la peine. Quant à Monstrueusement vôtre / Il faut tuer Constance, ils n’ont d’intérêt que pour le collectionneur fou ou le fan absolu.

Hervé LE ROUX

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