Morwenna aurait pu être une adolescente comme les autres, appréciant les sports d’équipe et rêvant du prince charmant pour échapper aux cours qui l’ennuient dans l’école privée qu’elle fréquente. Sauf que du haut de ses quinze ans, elle n’arrive pas à se fondre dans la masse. Peut-être est-ce à cause de sa passion dévorante pour la littérature en général, et la SF en particulier. Peut-être est-ce parce qu’elle a une jambe estropiée la forçant à se déplacer avec une canne, et ce suite à un accident qui a coûté la vie de sa sœur jumelle. Peut-être est-ce dû au fait d’avoir une sorcière (maléfique) pour mère, et de la magie dans les veines. Reste que Morwenna préfère parler aux fées et se perdre dans les univers peuplant ses livres préférés plutôt que de faire comme les autres. Ce qui ne l’empêche pas de rêver d’avoir des amis, un karass tel que décrit par Vonnegut dans Le Berceau du chat. Et d’en arriver à un peu forcer le destin pour que son souhait se réalise…
Pourquoi Jo Walton a-t-elle remporté une flopée de prix plus que recommandables (le Hugo, le Nebula et le British Fantasy Award, rien que ça…) pour un roman sur le mode du journal intime qui semble la simple histoire de l’éveil à la vie d’une adolescente meurtrie ? C’est qu’il y a bien davantage dans ce journal, journal qui sert également de carnet de lectures. En effet, Morwenna est avant tout une déclaration d’amour vibrante et passionnante à la science-fiction et à la fantasy. Et si le lecteur a lui-même dévoré ces (« mauvais ») genres lors de son adolescence, il ne pourra que s’attendrir en retrouvant ses questionnements et étonnements sous la plume de Morwenna, et de Jo Walton à travers elle. Car aussi bien le narrateur que l’auteur nous rappellent tout le plaisir que l’on peut avoir à lire les livres que l’on retrouve, par exemple, dans les pages de Bifrost.
Mais Morwenna n’est pas qu’un hommage à la SF (et surtout, à la SF des années 70), c’est également une histoire touchante, qui, pour naïve qu’elle puisse paraître, n’en reste pas moins intense. Jo Walton nous baigne ici dans un monde aux frontières du fantastique dans lequel on peut apercevoir du coin de l’œil le surnaturel qui affleure. Elle nous permet de rencontrer une héroïne atypique tellement elle s’éloigne de l’image que l’on essaie de nous imposer comme celle de l’adolescent moyen. Morwenna vit entre les pages de son journal et nous aide à retrouver nos souvenirs intimes d’un âge où tout semblait si important, si fondateur. On a presque envie de dire, en sortant de ce roman : « Morwenna, c’est moi » (et c’est certainement un peu le cas). Cette capacité à trouver un écho en nous, à nous parler, c’est la magie la plus forte de Jo Walton.
C’est pourquoi Morwenna a tant plu et plaira tant : ce n’est pas juste une histoire passionnante, ce n’est pas simplement un hommage à la SF, c’est tout cela et plus encore. C’est un livre qui, par ses diverses facettes, pourra parler au lecteur cherchant à être emporté ailleurs, comme à celui souhaitant retrouver et partager le plaisir d’aimer la SF(FF). C’est un récit qui nous invite à voir le monde autrement, une histoire qui raconte un peu de nous. C’est à découvrir, surtout.