Je ne suis pas sûr que le fait de présenter l’auteur comme un ingénieur informaticien qui a collaboré au développement d’Internet Explorer et Outlook soit un indice fiable quant à la pertinence du fort contenu scientifique qui sous-tend ce roman. De fait, on se fiera davantage à son essai, More Than Human : Embracing the Promise of Biological Enhancement, pour convenir que Ramez Naam a déjà réfléchi plus qu’un peu aux possibilités d’amélioration biologique du corps humain, et, du coup, accorder à son roman le bénéfice d’une base sérieuse quant aux sciences et technologies qu’il met en œuvre.
Car Nexus, premier tome d’une trilogie dont le deuxième volume est paru fin 2014 aux Etats-Unis, tape en plein dans l’évolution de l’espère humaine : le Nexus du titre, c’est une drogue permettant l’implémentation d’un système d’exploitation informatique sur le support physique que constituent neurones et synapses. Résultat : les capacités mentales sont décuplées, et il devient possible d’envisager un réseau de cerveaux communiquant entre eux. Kade, un jeune étudiant à l’origine de la création de Nexus (avec une poignée d’amis), possède en permanence ledit système bien au chaud dans son crâne. Lors d’une soirée où près d’une centaine de personnes échangent entre elles, Sam, une agente de l’ERD — la brigade gouvernementale de surveillance des dérives liées à l’ingénierie génétique —, s’infiltre et arrête le jeune homme. Le deal est simple : pour éviter la prison, il va falloir collaborer en espionnant Shu, une scientifique chinoise impliquée dans de nombreuses manipulations interdites par la loi. Kade se rend donc en Chine avec Sam pour s’apercevoir que Shu est déjà beaucoup plus avancée que lui dans le transhumanisme, et qu’elle a une toute autre version des faits que l’ERD lui reproche…
Ceci n’est que le point de départ d’un thriller extrêmement efficace, rythmé de bout en bout, à l’écriture très visuelle — aucune surprise quant au fait que le bouquin soit optionné par le cinéma. La position de Ramez Naam est clairement en faveur du transhumanisme (l’augmentation des capacités humaines par les manipulations génétiques et les nano-machines), considérant, de son point de vue, tout ce qu’il peut apporter à l’homme en termes de nouvelles capacités physiques et mentales. Kade et ses amis sont ainsi les victimes innocentes des manipulations de l’ERD, laquelle agence est dirigée par des pantins qui n’hésitent pas à recourir à la force pour protéger leur territoire, quitte à y laisser des vies humaines. Quant au stade suivant de l’évolution, le post-humanisme incarné par Shu, il nous est présenté sous un jour des plus progressiste et bienveillant. Naam s’affiche ainsi en pourfendeur d’une certaine frange américaine, conservatrice sur les aspects d’expérimentation scientifique. On aurait néanmoins aimé qu’il donne ici la parole à un défenseur crédible du statu quo, un contradicteur censé, plutôt qu’à un fantoche prêt à appuyer sur le bouton pour lancer ses barbouzes. Bref, pour le débat d’idées, on repassera… Dommage. En l’état, Nexus fait donc office de vulgarisation des théories de l’auteur énoncées dans More Than Human et lors de conférences qu’il a l’habitude de donner. Des théories qui, pour complexe qu’elles soient, n’en sont pas moins exposées de manière claire, et surtout parfaitement intégrées à la trame romanesque du livre ; pas de passage rebutant au jargon abscons, mais une vraie œuvre de vulgarisation, dans le sens noble du terme, où la simplification ne se traduit pas par un appauvrissement du contenu technique. Et comme nous sommes dans un thriller mené tambour battant, le plaisir de ces spéculations scientifiques est aussitôt mis en pratique lors de scènes (d’action, généralement) mettant en pleine lumière les bienfaits vantés par Ramez Naam. La narration est fluide, et les coups de théâtre bien amenés malgré quelques grosses ficelles inhérentes au registre du thriller cinématographique.
Au final, Nexus se révèle une très bonne découverte, un premier roman intelligent, énergique, au service d’une idéologie assumée et dont on ne peut qu’attendre la suite avec une certaine impatience.