Après seulement deux romans parus en France, Peter Watts a d’ores et déjà trouvé sa place parmi les auteurs de SF les plus novateurs et les plus passionnants du moment. Son nouveau livre, Rifteurs, était attendu avec d’autant plus d’impatience qu’il fait directement suite à Starfish, paru l’an dernier. Précisons tout de même qu’il n’est pas obligatoire d’avoir lu le premier pour saisir tous les enjeux du second, l’essentiel des informations nécessaires étant repris dans les premiers chapitres. Par ailleurs, dans la forme, Rifteurs est très différent de Starfish. Au huis-clos dans lequel se déroulait ce dernier succède une course-poursuite qui va nous faire traverser le continent nord-américain d’ouest en est. Cible de cette chasse : Lenie Clarke, l’une des survivantes de la station sous-marine où elle était en poste, désormais porteuse d’une bactérie issue des profondeurs qui menace de se répandre sur toute la surface de la planète.
Il flotte sur Rifteurs un lourd parfum d’apocalypse. A cause de la menace que fait peser la nouvelle condition de Lenie sur l’ensemble de l’humanité, bien sûr, à cause aussi des ravages dévastateurs provoqués sur la côte ouest des Etats-Unis par l’explosion nucléaire qui concluait le volume précédent. Mais, plus généralement, le monde que l’on découvre ici est un monde au bord du précipice et à bout de souffle, où de nouvel-les menaces apparaissent cha-que jour, amenant souvent les autorités à prendre des mesures radicales pour les contenir. C’est également une société de plus en plus déshumanisée, où d’un côté les employés de diverses multinationales acceptent de renoncer à une part de leur humanité pour mener à bien les tâches qui leur ont été confiées, et où de l’autre des millions de réfugiés sont parqués comme des bêtes dans des zones de non droit et abrutis à grands renforts de tranquillisants. Ce chaos global se reflète jusque dans l’Internet, désormais rebaptisé Maelstrom, incroyable bouillon de culture en perpétuelle évolution qui va jouer un rôle crucial dans la destinée de Lenie Clarke.
Même s’il évite la plupart des clichés du genre, et s’appuie sur une vraisemblance scientifique de tous les instants, Rifteurs fonctionne avant tout comme un thriller. Là où Starfish souffrait de quelques longueurs et de petits passages à vide, Peter Watts peinant parfois à structurer son récit (rappelons tout de même à sa décharge qu’il s’agissait d’un premier roman), cette suite marche à l’adrénaline, et s’avère être un page-turner assez irrésistible. Certes, au bout du compte, la plupart des questions soulevées au cours du récit demeurent sans réponse, et le resteront jusqu’à la parution de Behemoth, ultime volet de cette série. Mais si d’un point de vue global la situation n’évolue que très peu, en revanche les quelques protagonistes sur lesquels se focalise l’attention de l’auteur verront leur destin bouleversé de manière assez radicale. De Lenie Clarke, littéralement obsédée par son passé (l’obsession est souvent un élément moteur chez les personnages de Watts) à Achille Desjardins, dont le métier l’amène en permanence à faire des choix aussi dramatiques que meurtriers, aucun ne sortira indemne de cette histoire. La réussite de Rifteurs doit beaucoup à cette petite galerie d’individus, à la manière dont le romancier nous fait partager leur intimité pour mieux nous faire ressentir l’horreur dans laquelle ils se débattent en permanence. On n’aimerait pas être à leur place, mais on ne regrette à aucun moment d’avoir fait le voyage en leur compagnie.