La galaxie est partagée entre divers empires et autant de prodigieuses civilisations, dont ceux de Sirius et de Canopus, voués au bien, mais aussi celui de Putiora et de sa planète damnée, Shammat, incarnant le mal absolu. Ils s’affrontent au travers des influences néfastes ou bénéfiques qu’ils exercent sur les mondes et les civilisations qu’ils y font apparaître. Quant à Shikasta, c’est bien sûr de notre Terre qu’il s’agit…
Quand Canopus entreprend le développement de Rohanda, c’est un monde qui dispose d’un potentiel fabuleux et possède tous les atouts pour devenir l’un des fleurons de l’empire du bien. Canopus y importe des géants vivant plus de dix mille ans chargés d’éduquer les primitifs indigènes qui commencent tout juste à émerger de l’animalité. De magnifiques cités géométriques sont édifiées ainsi que des champs de mégalithes assurant la communication avec Canopus, jusqu’au jour où un malencontreux désalignement de planètes offre à Shammat l’opportunité de reprendre la main et d’étendre son influence maléfique sur ce monde devenant Shikasta, la planète martyre. Tandis que le flux de « substance absolue de fraternité » provenant de Canopus tend à se tarir, les populations dégénèrent, leur espérance de vie passant de milliers, à des centaines puis à quelques dizaines d’années, la taille des individus diminuant également. On voit l’Homme « chassé » du jardin d’Eden où il vivait en parfaite harmonie avec les bêtes, à l’abri du besoin. Tout ça, jusqu’à finir dans une belle flambée nucléaire (rappelons que le roman fut publié voici une quarantaine d’années, avant la dissolution du bloc de l’Est).
L’univers que propose Doris Lessing s’inscrit dans une cosmogonie bien différente de ce que nous connaissons, avec des alignements de planètes, des mégalithes permettant la circulation de flux d’énergie très largement spirituelle où l’on est plus proche de l’astrologie que de l’astronomie. Ensuite viennent les six zones qui ne sont pas sans rappeler La Divine Comédie. Notamment la zone Six, sorte de purgatoire crépusculaire, où les âmes des morts patientent en instance d’une nouvelle incarnation. Nombre de passages renvoient à l’Ancien Testament, entre autres au Déluge et à l’anéantissement de Sodome et Gomorrhe (par la flotte de Canopus). L’idée qu’il s’agisse là de la manière dont se manifeste la « bonté » d’un dieu ou d’une civilisation supérieure ne peut que laisser dubitatif. Combien de massacres n’ont-ils pas été commis au nom du bien ?
Ce roman se veut une somme de rapports et de commentaires laissés par les émissaires de Canopus sur Shikasta, au premier chef desquels Johor. Mais ce n’est pas vraiment un rapport. Ce n’est pas écrit comme un rapport. Où ? Quand ? Qui ? Quoi ? Comment ? Pourquoi ? Conséquences et plan d’action. Ni comme un roman d’ailleurs ! Il n’y a pas à proprement parler de mise en scène – plutôt que le compte rendu, il s’agit davantage du récit d’un observateur fortuit faisant état de son jugement à propos d’une situation sur laquelle il n’a pu enregistrer de données, lourd et redondant. Doris Lessing va, de propos délibéré, à l’encontre du principe de base de la fiction : show, don’t tell. Elle ne cesse de dire et dire encore, de ressasser, sans jamais rien montrer. Affirmer que le processus est malheureux relève de l’euphémisme : c’est carrément catastrophique ! En fin de compte, Shikasta apparaît comme un récit à vocation moralisante, un brin simpliste, où l’on « découvre » que certains traits humains tels que la jalousie, l’égoïsme, le matérialisme, etc., ne sont pas « bien ». Dans ce livre, c’est Shammat (le diable) qui est responsable d’exalter les plus bas instincts de l’humanité. À quoi peut bien servir d’adresser une leçon de morale à des êtres sous l’emprise d’une puissance métaphysique, s’ils sont en quelque sorte possédés ? Le choix d’opter pour le point de vue d’une civilisation cosmique sur l’ensemble de l’histoire humaine, d’un passé mythique à l’époque contemporaine, désamorce le discours moral qui semble bien être le but du livre.
Rarement lecture me fut aussi pénible. S’il a été jugé bon d’attribuer le Prix Nobel à Doris Lessing, il doit bien y avoir des raisons, mais elles m’échappent à la lecture de cet ouvrage – peut-être les y trouverai-je dans les quatre autres volumes du cycle à paraître : il est permis d’en douter…