[Critique commune à Sous le vent du monde, Le Nom perdu du soleil
Pierre Pelot s’était déjà frotté au roman préhistorique avec Le Rêve de Lucy, qui avait bénéficié des conseils scientifiques d’Yves Coppens. Il a remis le couvert avec « Sous le vent du monde », pentalogie d’une ambition rare, débutant 1,7 million d’années avant notre ère et s’achevant il y a de cela 32 000 ans, et se déroulant aux quatre coins du globe. Il s’agit de narrer l’homme naissant au cours de cette longue période, qui verra à terme Sapiens dominer le monde.
Plusieurs thèmes se montrent récurrents au fil de la série, le plus important étant probablement celui de la communication : dans chaque roman, Pierre Pelot invente au moins un lexique particulier, souvent deux – il faudra dès lors aux personnages se faire comprendre d’un groupe à l’autre… Complexe jeu sur le langage, qui peut se montrer rebutant, mais a aussi un côté ludique à l’occasion, et dont la pertinence ne saurait faire de doute.
On assiste par ailleurs à la naissance de plusieurs concepts fascinants – ainsi de la religion, au fur et à mesure que les rites funéraires, notamment, et les questionnements qui les accompagnent, prennent de plus en plus d’importance pour nos ancêtres. On voit de même se construire des tabous, éventuellement en relation avec le totémisme, et leur violation qui débouche à terme sur une conception archaïque de la justice.
La technologie n’est pas en reste – et tout est lié. Les outils de ces hommes premiers se perfectionnent sans cesse, encore que sur des périodes longues. On les voit aussi, au fur et à mesure, construire des abris et se vêtir de peaux, voire enjoliver leur environnement par un artisanat naissant – tandis que l’art pariétal finit par apparaître. Se pose par ailleurs, forcément, la question essentielle de la domestication du feu – qui renvoie à La Guerre du feu, bien sûr, tant le roman séminal de J.-H. Rosny Aîné que le film de Jean-Jacques Annaud.
Mais l’homme est bien plus que tout cela : il s’interroge autant qu’il ressent. Au fil des romans, on le voit développer les traits les plus louables – dont une curiosité de tous les instants, et une certaine solidarité teintée d’empathie –, mais aussi les plus détestables : la violence est souvent de la partie, qu’elle soit provoquée par l’ignorance et l’incompréhension, ou par des affects plus individuels comme la jalousie…
Pour raconter cette longue histoire, Pierre Pelot a recours à un style très particulier : au-delà même des lexiques, il use de longues et complexes périphrases ou analogies, indispensables pour se faire comprendre – de nombreuses scènes y sont consacrées, qui peuvent à l’occasion se montrer aussi enthousiasmantes pour le lecteur que pour les intervenants, la joie de la compréhension justifiant bien des tours et détours et des tentatives d’explications confuses.
Au-delà, il faut bien reconnaître que ces romans sont d’un abord rugueux… et que leur lecture – a fortiori en bloc – a quelque chose de franchement épuisant. La tendance de l’auteur à détailler à l’extrême les moindres scènes participe de cette difficulté, et plus encore quand il s’agit de scènes d’« action » (au sens large), tellement précises qu’elles en deviennent illisibles, se traînant au long de paragraphes et de phrases interminables accumulant les propositions…
« Sous le vent du monde » séduit par son ampleur, son intelligence et sa justesse – sa poésie aussi, dont les titres témoignent. Mais la série peut rebuter par ses procédés stylistiques, certes appropriés, mais délicats à appréhender et pouvant légitimement en décourager plus d’un. Une lecture fascinante, donc, mais qui demande un certain travail – et s’il est heureux que ces efforts soient le plus souvent récompensés, on avouera que ça n’est pas toujours le cas…