Le Serpent à collerette
(2010)
Au pays des Forêts Secrètes se trouvait jadis, en bord de mer, une petite ville austère et gaie nommée Gurmance. Les maisons, blanchies à la chaux, avaient des colombages de couleur, des fenêtres aux carreaux minuscules, des balcons fleuris de colchiques et des toits dont les tuiles vertes luisaient au soleil. Des ruelles pavées de galets serpentaient entre le vieux port, la place des kermesses, l’hôtel du bourgmestre et la chapelle des Trépassés. Et, dans les cent boutiques qui s’y égrenaient, on vendait de la céramique, du drap, des sarcloirs, du pain bis, des ex-voto, des tranches d’espadon et des poupées de cire.
L’une de ces maisons avait été baptisée la Chaumière Bleue, car, bien qu’arborant des poutres d’un bel azur, elle était couverte non de tuiles mais de chaume. Un marin pêcheur, Renaud des Îles, y vivait avec sa famille. Ses ancêtres, venus des archipels de la mer des Glaces, s’étaient installés à Gurmance un siècle plus tôt. Avec sa barbe blonde et son teint brûlé par le soleil, c’était un homme de cœur, qui affrontait les épreuves de la vie avec un sourire inaltérable. Tout le monde, en ville, savait qu’il était bon époux, bon père, et que pour soutenir un ami en péril, il n’eût pas hésité à défier jusqu’au dragon des Sept Gouffres.
Sa femme s’appelait Annelore. Aussi brune qu’il était blond, gracieuse à ravir, elle passait, selon la loi des femmes de pêcheur, de longues journées à l’attendre, tandis qu’il traquait en mer le congre d’argent et le saumon d’or. Pendant ce temps, pour ne pas penser aux récifs ni aux tempêtes, elle laissait ses doigts courir, inlassables, sur son métier de dentellière. Et, qu’on lui commandât napperons, bonnets, mouchoirs ou tabliers, elle les ornait de motifs si admirables qu’on repartait de chez elle ébloui, en répétant à la ronde qu’elle était la plus habile brodeuse du canton.
Extrait du livre Forêts secrètes.