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Les critiques de Bifrost

Angemort

SIRE CÉDRIC
NUIT D'AVRIL
240pp - 16,90 €

Critique parue en juillet 2007 dans Bifrost n° 47

« Voir un démon violer un ange est une chose si stupéfiante que Maddalena avait reculé d'un pas, collant son dos contre un des murs de la salle, et avait croisé instinctivement ses mains devant sa poitrine. Devant elle, Asiel ouvrait son manteau et poussait son pénis dans la bouche de la jeune fille accroupie. Comme celle-ci bougeait et recommençait à sautiller sur place, il n'avait pas tardé à perdre patience. Sa main droite s'était refermée sur son cou, ce qui l'avait décapité net, et le corps frêle s'était effondré à ses pieds. Il avait enfoncé ses longs ongles dans la tête surprise. Celle-ci, bloquée et présentée de nouveau face au pénis du démon n'avait eu d'autre choix que de continuer son ouvrage : elle l'avait longuement sucé, répondant à son désir à petits coups de langue timides, et Asiel avait éjaculé sur le petit visage, son sperme le dissolvant, le défigurant comme de l'acide. » pp. 67-68 (moralité : un ange mort jamais ne mord).

Comme l'atteste le passage ci-dessus, choisi parmi tant d'autres du même acabit, Angemort redonne vie à la branche littéraire du théâtre de Grand-Guignol et, croyez-moi, la montée de sève est généreuse. Dans ce livre « gothique pour ta petite sœur de dix-sept ans qui se tripote en écoutant The Mediæval Bæbes, toute de noir vêtue », ça baise, ça meurt, ça mutile, ça domine en cuir noir, ça rêve d'immortalité, le tout dans des endroits sacrés, poussiéreux, souterrains et, si possible, les trois à la fois. Là où le bât blesse, c'est que cet amusant catalogue de perversions à la Brenda Love (nécrophilie, coprophilie, pédophilie, zoophilie, tératophilie, somnophilie, ondinisme et j'en oublie) est servi par une écriture en dents de scie, parfois maîtrisée (on sent alors que Sire Cédric a un vrai talent, on pense à Clive Barker ou Poppy Z. Brite), parfois grotesque (ce pauvre garçon n'a visiblement jamais eu de véritable éditeur, en tout cas pas sur cet ouvrage qui ne viole pas que les anges, la langue française passant à la casserole plus qu'à son tour). Ajoutez à cela une intrigue très peu palpitante (Maddalena a besoin de la peau de l'ange mort pour accéder à l'immortalité, mais cette peau a été acquise par un riche collectionneur de rebuts macabres : Cheverny) et une construction un brin bordélique, rythmée par des clichés gros comme des mammouths habillés de vinyl et de broderies noires.

Ça faisait longtemps que je n'avais pas lu un livre où les protagonistes se délectent de leurs molles déjections tout en baisant façon « SM-Nazi » et, à bien y réfléchir, je me dis qu'il y a des lecteurs (non avertis) qui, contrairement à moi, ne vont pas du tout trouver ça amusant… Notamment les parents des gamines de dix-sept ans qui se tripotent en écoutant The Mediæval Bæbes, parents qui préféreraient que leur progéniture fasse ses devoirs à la place et arrête de s'habiller façon « pute de cimetière ».

Sire Cédric (qui heureusement n'a pas l'air de se prendre trop au sérieux) est à la littérature contemporaine ce que Marilyn Manson est à la « musique pour jeunes », mais c'est un Marilyn Manson de soirée estudiantine suralcoolisée, au maquillage raté, au costume mal ajusté. On peut trouver un plaisir évidemment pervers à regarder œuvrer ce sosie approximatif ; on peut aussi passer son chemin en se disant qu'on ne perd pas grand-chose.

En tout cas, voilà un premier roman francophone qui sort de l'ordinaire…

Thomas (obsé-)Day

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