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Les critiques de Bifrost

Anno Dracula

Anno Dracula

Kim NEWMAN
J'AI LU
380pp - 7,00 €

Bifrost n° 11

Critique parue en décembre 1998 dans Bifrost n° 11

Découvert en France par Sylvie Denis et Francis Valéry (dans l'anthologie Century XXI — Encrage, puis dans la revue CyberDreams), Kim Newman a su conquérir en une poignée de nouvelles le coeur de nombre de lecteurs de science-fiction. Pour ces derniers, la traduction d'Anno Dracula est un événement des plus réjouissants. Il y a quelques mois, la revue de fantastique Ténèbres nous avait déjà offert, avec la nouvelle « Apocalypse Dracula » et un article signé Newman himself (dont on trouvera une version condensée à la fin de ce roman), un avant-goût de cet univers dans lequel le héros de Bram Stoker n'a pas succombé aux assauts de Van Helsing et de ses compagnons, mais au contraire est parvenu à faire basculer le Royaume-Uni dans les ténèbres en épousant la reine Victoria. Trois ans plus tard, les Gardes Karpathes font régner la terreur dans tout Londres, les têtes du professeur Van Helsing et de Jonathan Harker ornent les grilles de Buckingham Palace, Arthur Holmwood est lui-même devenu un vampire tandis que le docteur Jack Seward s'en prend aux prostituées vampires du quartier de Whitechapel et fait la une de tous les journaux sous le nom de Jack l'Éventreur…

Les personnages créés par Bram Stoker ne sont pas les seuls acteurs de ce roman. Réels ou imaginaires, célèbres ou oubliés, mis en scène ou simplement évoqués, ils sont nombreux à faire leur apparition au fil du récit, d'Oscar Wilde au docteur Jekyll, de Lord Ruthven à John Merrick. Kim Newman a visiblement pris un malin plaisir à jouer avec ces grandes figures historiques et/ou littéraires, sans pour autant perdre de vue l'essentiel : le plaisir du lecteur, de tous les lecteurs. Car Anno Dracula n'a rien de l'exercice de style réservé à une poignée de bibliophiles érudits. Ni pastiche, ni hommage révérencieux à ses illustres aînés, il s'agit d'une oeuvre qui, si elle puise son inspiration dans le passé, s'affirme comme résolument moderne, sur le fond comme sur la forme. De ce point de vue, le portrait que nous fait Kim Newman de Dracula, dans les dernières pages du roman, est pour le moins radical, en totale rupture avec la vision romantique qui prédomine depuis des lustres, tant au cinéma qu'en littérature. Tout au long de son récit, le romancier ne cesse de surprendre, de briser les stéréotypes, de dépoussiérer les vieux mythes. Tout cela concourt à faire d'Anno Dracula un roman absolument jouissif, dont on savoure chaque scène, chaque détour d'une intrigue qui s'évertue à entraîner le lecteur sur des terres que l'on croyait balisées et que l'on redécouvre aussi vierges et accueillantes qu'au premier jour. Une réussite majeure.

Philippe BOULIER

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