Résumer un tel livre tient de la gageure la plus totale : on a affaire ici à un « Objet Littéraire Non Identifié », fruit de la conjonction des talents de deux frappadingues, Fabrice Colin et David Calvo. Pour ceux qui souhaiteraient néanmoins connaître un semblant d'intrigue, on leur dira que l'histoire commence dans le parc de Kensington Garden, à Londres, où deux personnes, Kelvo et Collins, s'amusent à faire le poirier au milieu d'écureuils. Plus tard, ils iront surfer sur l'onde de choc produite par l'explosion de la bombe atomique en plein désert du Nevada. On parlera aussi, pêle-mêle, d'extraterrestres attachants, d'un grand constructeur de jeux vidéo et de rats. Bien sûr, il se trouvera des lecteurs qui ne supporteront pas ce bric-à-brac intenable. À ceux-là, les auteurs ont prévu de fournir une réponse, qui tient dans le titre du deuxième chapitre : « On vous emmerde ». Ou, en d'autres termes moins directs, ne cherchez pas à retrouver une histoire linéaire et classique. Mieux vaut que vous laissiez tomber dès la première page toutes vos facultés d'analyse et de rationalisation, et savouriez simplement l'humour des personnages, l'extravagance des situations, et le côté joyeusement bordélique de l'ensemble.
Dans ce triptyque (dont la première partie avait été publiée dans Jour de l'an 2000, aux éditions Nestiveqnen), il y a également des tonnes de références à la culture, sans distinction entre celle dite « officielle » et la « populaire ». La quatrième de couverture présente ce livre comme « un Fantasia post-moderne mis en musique par Marylin Manson et filmé par Terry Gilliam sous speed ». Cette description est encore trop réductrice — voire fausse, la bande-son empruntant par exemple aussi bien aux années 80 (qui se souvient encore de Den Harrow ?) et aux années 90 (Neil Hannon et Divine Comedy). Les auteurs citent entre autres Shakespeare, les préraphaélites, Walt Disney, Richard Brautigan, artistes qu'ils apprécient tout particulièrement. Et ce livre de se transformer en œuvre très personnelle, qui expose une certaine philosophie de la vie, entre tolérance et volonté affirmée de conserver une âme d'enfant prompte à s'émerveiller. Reste à savoir comment s'est articulée l'écriture de ce texte à quatre mains : Fabrice Colin s'est-il chargé des seuls passages dont le narrateur est successivement Collins, Nik et Ko, laissant à David Calvo la paternité des passages signés Kelvo, Valk et Ka ? Ou la situation est-elle plus complexe ? Qu'importe, au fond, puisque cette dichotomie est le moteur du livre, et lui confère son énergie vitale.
Bref, ce court roman est un régal à savourer immodérément, une vision totalement disjonctée et jouissive de l'imaginaire de deux auteurs qui n'ont pas fini de nous surprendre. Kwak.