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Les critiques de Bifrost

Aube d'acier

Charles STROSS
MNÉMOS
480pp - 22,50 €

Critique parue en avril 2009 dans Bifrost n° 54

« 1. Je suis l'Eschaton. Je ne suis pas ton dieu.
2. Je descends de toi et j'existe dans ton futur.
3. Tu ne violeras pas la causalité à l'intérieur de mon cône de lumière historique. Sinon… »

On avouera que, pour n'être pas divine, l'IA mégalomane et paranoïaque post-singularité ne manque pas d'une certaine classe. Ce « Sinon… », notamment, est lourd de menaces. Quand une étoile explose et raye de la carte galactique la civilisation terriblement ennuyeuse et banale de la Nouvelle Moscou, on pense immédiatement au grand E. En s'étonnant, tout de même, de ce que les pacifiques néo-moscovites aient pu d'une manière ou d'une autre violer la causalité.

Peut-être le coupable se trouve-t-il ailleurs, et l'Eschaton s'est-il en fait montré faillible ? Pour les survivants expatriés de la Nouvelle Moscou, il y a une cible toute désignée : la bien plus hargneuse Nouvelle Dresde. Aussi avait-elle établi à tout hasard un programme de dissuasion par riposte massive qui, à l'instant même où la planète mère disparaissait dans une aube d'acier destinée à s'étendre sur plusieurs années-lumière, a précipité des missiles nucléaires NAFAL sur les coupables supposés, à leur tour menacés d'anéantissement d'ici une trentaine d'années (décidément, tout cela fait à nouveau énormément penser au Docteur Folamour de Stanley Kubrick). À tout cela, il faut encore ajouter les manœuvres mystérieuses d'improbables nazillons de l'espace, les Recompilés, nécessairement beaux, forts, et un peu crétins tout de même.

Une nouvelle mission de choix pour la charismatique espionne terrienne Rachel Mansour et son époux Martin Springfield, qui les amènera à faire bien des rencontres marquantes, et notamment celle de l'inénarrable et bien nommée Mercredi, ado goth à baffer au service de l'Eschaton (à moins qu'elle ne soit que schizophrène).

Après avoir torpillé les clichés du space opera militariste dans Crépuscule d'acier, Charles Stross retrouve son univers post-Singularité pour un détournement en règle des lieux communs du roman d'espionnage. On aura droit à tout : Rachel Mansour fait plus que jamais figure de James Bond doté d'une forte poitrine, l'intrigue est à la fois évidente et abominablement capillotractée, les méchants sont vraiment très méchants, et ont le bon goût de révéler aux héros l'intégralité de leur plan diabolique dans les dernières pages tout en multipliant les indispensables ricanements sardoniques. Et c'est à nouveau passablement débile… et franchement jubilatoire.

Evidemment, c'est aussi quelque peu outrancier, ce qui ne sera probablement pas du goût de tous. D'autant qu'Aube d'acier se montre sans doute moins directement efficace que son prédécesseur. Cette fois, le jargon hard science — assez superflu — en arrive même à rendre certaines pages proprement illisibles, notamment vers le début du roman, un tantinet laborieux. Il serait dommage, pourtant, de s'en tenir à cette mauvaise impression. Au fur et à mesure que les personnages et l'intrigue se mettent en place — ce qui n'exclut pas un brin de tirage à la ligne de temps à autre —, le roman se fait de plus en plus réjouissant, et, pour peu que l'on se montre bon public, on retrouve finalement assez vite le plaisir pur et simple de la lecture de Crépuscule d'acier, et l'indéracinable sourire vaguement régressif qui va avec.

Alors on peut bien faire la fine bouche à l'occasion, et notamment regretter que le roman, tout en conservant une certaine gravité qui ressurgit de temps à autre, délaisse largement les thématiques de la Singularité et de l'Eschaton pour s'en tenir au pur divertissement. Mais ce divertissement reste efficace, souvent drôle — quoique un peu inégal —, et parfois franchement enthousiasmant. Le ton de Charles Stross, entre humour absurde et pince-sans-rire plus britannique qu'un five o'clock tea, cynisme destructeur et punchlines à dix sous, fait régulièrement des merveilles.

En refermant Aube d'acier, on peut difficilement prétendre avoir lu un grand roman, et certainement pas un chef-d'œuvre. En même temps, on a dans l'ensemble passé un très bon moment. Et n'est-ce pas là l'essentiel ?

Bertrand BONNET

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