Greg Egan (auteur australien découvert dans Interzone à la fin des années quatre-vingt, en France un peu plus tard dans les pages de CyberDreams et les publications DLM), il y a ceux qui adorent et… les autres. Et moi, très franchement, j'étais il y a encore un jour ou deux très clairement dans la seconde catégorie, celle des autres, ceux qui ont lu, ça et là, une ou deux nouvelles intéressantes et beaucoup de textes abscons. Ainsi, tout était simple, et lorsqu'on me parlait d'Egan, je me disais : « ah ouais, ce type aux idées souvent renversantes mais à la manière genre hard-science cryptique dont je comprends qu'un mot sur trois ». C'est alors qu'arriva Axiomatique, un petit recueil de quatre nouvelles (premier volet d'un ensemble quadripartite à venir, me semble-t-il), un bouquin qui, affirmons le d'emblée, allait radicalement chambouler mon jugement. Et depuis plus rien n'est simple, évidemment…
Après cette petite introduction passablement nombriliste, passons donc aux choses réellement dignes d'intérêt, à savoir « Axiomatique », nouvelle d'ouverture au titre éponyme à celui du recueil. L'histoire est basique : celle d'un homme déchiré (entre son désir de venger sa femme assassinée lors d'un braquage, et sa morale qui lui souffle combien tuer un être humain est un acte ignoble. Pourtant la solution est là, dans ces implants neuraux à même de profondément modifier la personnalité, de changer l'introverti timide en gagnant grande gueule sûr de lui, l'athée en fanatique religieux ou encore le veuf en meurtrier. On avale le texte à toute allure, véritablement saisi par une écriture limpide, extrêmement vivante, une nouvelle ou plane le vaste problème de l'intégrité humaine de notre identité en tant qu'être pensant. Le ton est donné, et de bien belle manière.
Charpentée sur la même thématique, celle de l'identité de l'individu, « Le coffre-fort » nous plonge dans les affres d'un personnage voué à une existence pour le moins curieuse, une vie fractionnée, morcelée, celle de toutes les personnes dans la peau desquelles notre héros se réveille, jour après jour. Il ne sait pas quel corps il habite, quelles sont les habitudes de ce type dont il voit le visage dans le miroir, quelle est cette femme, là, dans le lit, et qui visiblement semble avoir des intentions douteuses. Et c'est comme ça tous les jours depuis quarante ans (il y a là un petit côté Code Quantum, non ?). Second texte et second coup de poing, le tout ponctué par une rationalisation finale vertigineuse. Surprenant ! Avec « Le Tout-P'tit », Egan aborde les domaines mouvants des manipulations génétiques par le biais, non moins hasardeux, de l'affectif. Un Tout-P'tit, c'est une créature vivante, un véritable bébé en fait, un mioche qu'il vous faudra accoucher (si vous êtes de sexe masculin, pas de problème, la science est capable de tout !), langer, nourrir, bref, élever. Seul hic : il est programmé pour mourir à quatre ans. Et puis vous savez, les gosses, mêmes fabriqués, on s'y attache, alors… Encore un texte riche de réflexions, aussi dérangeant que les deux premiers, et peut-être plus encore, une nouvelle qui vous fera regarder une certaine brebis d'un drôle d'œil, sans parler du tamagotchi de votre petit cousin…
C'est à « La caresse » qu'incombe la lourde charge de clôturer Axiomatique. Le texte, comme les trois autres, est écrit à la première personne du singulier. C'est de loin le plus long et, aussi, sans doute, le plus fou. L'intrigue tourne autour d'un tableau, La caresse de Fernand Khnopff (excellente initiative que celle de l'éditeur d'avoir repris le dit tableau en couverture), une œuvre où l'un des personnages représentés est une créature hybride, tête de femme, corps de panthère. Un sphinx, quoi. Tout commence au moment ou le narrateur, flic bio amélioré, découvre semblable aberration, et bien vivante qui plus est, dans le sous-sol d'une maison ou un meurtre a été commis. Pourquoi avoir créé une telle horreur ? L'enquête est ouverte. « La caresse » est une nouvelle superbe et palpitante, porteuse, à l'instar de tous les autres textes d'Axiomatique de questions éthiques profondes auxquelles il faudra bien se résoudre à répondre, des réponses qui modifieront irréversiblement notre proche futur…
Bref et on l'aura compris, ici, rien n'est à jeter (dans la mesure bien sûr où on oublie quelques imperfections de maquette, découpages et césures lourdingues, pages mal cadrées et absence de sommaire). Chacun des quatre textes justifie à lui seul (presque) l'achat du recueil. Alors si vous aimez les projections prospectives, que le génie génétique et les nanotechnologies vous fascinent : c'est sûr, faut pas hésiter, courez, d'autant que d'ici que vous acquériez Axiomatique ce sera peut-être plus de la Science-Fiction… Après tout, c'est déjà demain, non ?