Maurice G. DANTEC
GALLIMARD
560pp - 19,82 €
Critique parue en juillet 1999 dans Bifrost n° 14
Après l'énorme succès des Particules élémentaires de Michel Houellebecq, on constate non sans un certain plaisir que le nouvel événement littéraire français, en l'occurrence le troisième roman de Maurice G. Dantec, entretient lui aussi des liens évidents avec la science-fiction. Ces deux livres possèdent d'ailleurs un bon nombre de points communs, le plus frappant étant la conclusion à laquelle arrivent les deux écrivains quant à l'avenir de l'humanité. Mais si Houellebecq demeurait assez vague dans ses spéculations, se refusant à entrer franchement en territoire S-F, Dantec, au contraire, s'y jette à pieds joints. Ainsi, en six ans et trois romans, a-t-on vu l'auteur passer du roman noir classique à la science-fiction pure et dure, sans pour autant quitter la collection de polars qui l'avait révélé.
Après avoir mis à jour les racines du mal, Dantec s'intéresse désormais à ses fruits. Et le monde, en ce début de XXIe siècle — l'action se déroule en 2013 — pourrait se résumer en un mot : Chaos. La Russie et la Chine sont déchirées par d'interminables guerres civiles, tandis que dans le reste du monde prolifèrent et prospèrent les mafias et les sectes les plus extrémistes. Cette impression de chaos généralisé est d'autant plus forte que Dantec ne fait quasiment jamais allusion aux pouvoirs politiques légitimes en place. Comme la police dans ses romans précédents, ceux-ci brillent ici par leur absence, et seule la loi du plus fort semble avoir encore cours dans cet univers à la dérive.
Autre particularité des romans de Dantec que l'on retrouve une fois encore ; alors qu'il s'agit de véritables pavés, leur intrigue peut se résumer en deux phrases. Dans le cas présent, un mercenaire, Toorop (le héros de La Sirène rouge), est chargé d'assurer la sécurité et le transfert d'une jeune femme, Marie Zorn, du Kazakhstan vers le Québec. Les choses vont évidemment se compliquer lorsque Toorop découvre que Zorn souffre de schizophrénie aiguë, et surtout qu'elle transporte ce qui pourrait être une arme biologique révolutionnaire, laquelle semble attiser la convoitise de nombreux groupuscules aux visées obscures. Voilà pour l'intrigue, qui suffit amplement à maintenir constant l'intérêt du lecteur durant les deux tiers du roman. Mais Dantec s'intéresse finalement moins à la résolution de cette intrigue qu'à ses implications, politiques comme métaphysiques. Et c'est là que Babylon babies devient un roman véritablement éblouissant. Dantec mêle avec un appétit vorace philosophie et sciences dures, métaphysique et musique techno, cyberculture et chamanisme (un salmigondis dont la dédicace ouvrant le roman donne déjà un aperçu). On n'est certes pas obligé de suivre Dantec dans toutes ses extrapolations, on pourra même lui reprocher parfois un certain « confusionnisme ». Il n'empêche que dans sa volonté d'aborder la complexité du monde d'un point de vue global, Babylon babies est sans doute l'une des tentatives les plus réussies que la science-fiction française nous ait jamais offerte. Un roman majeur.