Thomas DAY, Stéphane BEAUVERGER, Bernard CAMUS, Jacques MUCCHIELLI, Camille LEBOULANGER, AYERDHAL, Jérôme OLINON, Gulzar JOBY, Éric HOLSTEIN, DANEL, Prune MATÉO, Alain DAMASIO, Sébastien CEVEY, Paul BEORN, Philippe CURVAL, Léo HENRY, Jeff NOON
LA VOLTE
348pp - 18,25 €
Critique parue en janvier 2011 dans Bifrost n° 61
Ami lecteur, toi qui lis ces lignes, abandonne tout espoir : apprends d’ores et déjà que notre futur sera glauque, que c’était mieux avant et que, rhalala, ma bonne dame, avec toutes les nouvelles technologies qu’y nous font, ben on n’est pas sortis de l’auberge, c’est moi qui vous l’dis. Manière d’affirmer que, dès le départ, l’appel à textes intitulé « nouvelles technologies et atteintes à l’humain » lancé conjointement par La Volte et La Ligue des droits de l’Homme et qui a débouché sur cette anthologie posait quelque peu problème à l’amateur de science-fiction… En effet, en adoptant une telle orientation idéologique comme fondement même de son propos, il présentait le risque de déboucher sur des textes, disons « technophobes », pour ne pas dire « néo-luddites », pour ne pas dire franchement réactionnaires (et chez La Volte, dans le genre, on avait déjà donné avec La Zone du dehors d’Alain Damasio, présent à l’affiche…). Or, en science-fiction, ça la fout un peu mal… Si celle-ci peut à bon droit tirer la sonnette d’alarme à l’occasion, son instrumentalisation à cet effet, surtout s’il s’agit de pointer du doigt les dérives du progrès technologique, pose d’autant plus problème que les amalgames sont vite réalisés, qui viennent stigmatiser globalement ce progrès : on aura hélas l’occasion de le constater. Or, sans verser dans le positivisme béat, ni a fortiori dans un scientisme malsain, on est en droit de regretter que les nouvelles technologies, quelles qu’elles soient, ne soient envisagées que sous un angle purement négatif, quand elles sont susceptibles de tant d’applications.
Ceci étant, nous ne parlons ici que de l’appel à textes ; et si ces préconçus imprègnent encore largement la préface de Dominique Guibert, secrétaire général de la Ligue des droits de l’Homme (qui, au mieux, enfonce des portes ouvertes, et, au pire, se montre maladroit, voire méprisant, vis-à-vis du genre…), le fait est qu’un appel à textes, ça se tord, ça s’interprète, ça se remâche, et qu’il peut en sortir des choses assez inattendues. Or il y a du beau monde, au milieu des inconnus, dans cette anthologie ; de quoi attiser malgré tout la curiosité du plus sceptique des lecteurs. Mais autant le dire tout de suite : le résultat final est passablement médiocre… Et s’il s’en est trouvé pour tirer leur épingle du jeu (quitte à verser dans le hors sujet, d’ailleurs…), nombreux sont ceux qui se sont contentés du minimum syndical, quand ils n’ont pas livré des aberrations pures et simples.
Décortiquons donc la bête, en commençant par une rapide vue d’ensemble : double couverture, jolie maquette (4), c’est assurément un bel objet ; on se montrera par contre plus que réservé sur les « fiches signalétiques » placées en tête de chaque nouvelle et décrivant sommairement les auteurs, qui ont tout de la fausse bonne idée : le résultat est souvent, au choix, hilarant ou consternant (mentions spéciales au « subversif » Ayerdhal et au bavard Philippe Curval). Mais passons aux nouvelles, du pire au meilleur.
Le pire, ce sont deux nouvelles catastrophiques, caricaturales au possible, qui représentent à peu près tout ce que l’on pouvait craindre en la matière. Le champion, ici, est sans conteste Bernard Camus, avec — attention les yeux — « Les Evénements sont potentiellement inscrits et non modifiables », courte « nouvelle » (?) absolument imbitable qui redonne à l’expression si convenue « d’anti-américanisme primaire » tout son sens (et en caractères gras, s’il vous plaît). Mais Philippe Curval se débrouille également pas mal avec « Un spam de trop », de loin le texte le plus réac de l’antho, qui plus est plombé par un humour lourdingue, et dont la conclusion, absurde, certes, est avant tout ridicule.
Il y a ensuite du simplement mauvais. Outre la préface (donc), nous retiendrons ici trois textes : tout d’abord « Le Regard », de Jérôme Olinon, texte raté, confus, au style pénible ; ensuite « Trajectoires », de Danel, « Minority Report » du pauvre, mal écrit pour couronner le tout ; enfin « Vieux Salopard » de Paul Beorn, mauvais remake de L’Echiquier du mal passablement hors sujet.
Quatre nouvelles se contentent d’être médiocres, au sens strict : « Echelons », de Thomas Day, qui ouvre le recueil, n’est pas déplaisante, mais laisse un peu sur sa faim ; « Satisfecit » de Stéphane Beauverger est riche de bonnes idées, mais sa trame de thriller et sa conclusion déçoivent ; Ayerdhal, avec « Paysage urbain », fait dans l’ultra didactique politiquement correct (ah non, pardon, « subversif »), ce qui n’est pas totalement inintéressant, mais tout de même un peu trop pontifiant pour séduire véritablement ; Prune Matéo, enfin, livre avec « Sauver ce qui peut l’être » un texte assez sensible, mais qui ne laisse guère d’impression durable.
On en arrive (enfin) aux textes « corrects », voire bons. Camille Leboulanger, avec « 78 ans », dresse un beau portrait de vieillard, dans un monde où la vieillesse peut être évitée ; un peu hors sujet, mais touchant. A l’autre extrémité, Gulzar Joby, avec « Remplaçants », s’intéresse quant à lui aux enfants fliqués par leurs parents ; pas d’une originalité foudroyante, mais assez joli. Un cas limite ensuite avec Alain Damasio, qui fait du Damasio, en mode psychothérapie fumage de moquette : comme souvent avec cet auteur, c’est aussi séduisant qu’agaçant, mais, au final, cette descente aux enfers fait mouche ; elle est pourtant largement hors sujet, là encore…
Puis viennent les textes qui méritent franchement le détour. Jacques Mucchielli, avec « Spam », nous livre une variation noire et agressive de Les Gogos contre-attaquent de Frederik Pohl : écriture irréprochable, images fortes, rien à redire. « Ghost in a Supermarket » d’Eric Holstein est également tout à fait recommandable : cette chasse au consommateur s’avère passionnante et effrayante. Si « Des myriades d’arphides » de Sébastien Cevey est peut-être encore un peu confus, il confirme néanmoins qu’il s’agit là d’un jeune auteur prometteur, et c’est en outre un des rares textes de l’anthologie à présenter les possibilités de résistance offertes par la technologie elle-même. Léo Henry est passablement hors sujet (lui aussi !) avec « Naître et fleurir », mais peu importe : la plume est superbe, et la nouvelle délicieuse. Et l’anthologie de se conclure en beauté avec « Le Point aveugle » de Jeff Noon, sorte de poème en prose en plein dans le sujet (enfin…).
Il n’en reste pas moins qu’au final ces « 17 mauvaises nouvelles d’un futur bien géré » (pas dit que ce sous-titre soit très bien vu, au passage…) sont dans l’ensemble très inégales, trop sans doute pour faire de ce recueil une lecture véritablement recommandable. Certes, les auteurs ont pour la plupart évité de tomber dans les pièges que leur tendait l’appel à textes, et c’est heureux ; mais trop rares sont ceux qui, pour autant, ont livré des textes vraiment saisissants, ou ont fait preuve de la maîtrise nécessaire pour les pousser jusqu’au bout.