Lorsqu’il ne signe pas des romans pour la jeunesse ou des bandes dessinées, ne traduit pas des comics ou des textes anglo-saxons, ne publie pas des articles ici ou là et ne participe pas à cinquante autres projets divers, Laurent Queyssi trouve parfois le temps d’écrire des nouvelles. Pas souvent, certes, une petite quinzaine en à peine moins d’années, mais la qualité est assez régulièrement au rendez-vous. Les éditions ActuSF rééditent les meilleures d’entre elles dans Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps, accompagnées d’un inédit qui donne son titre au recueil.
On retrouve dans ces textes le côté touche-à-tout de leur auteur, et l’on ne s’étonnera pas de la diversité des thèmes abordés. Rock, science-fiction, séries télé ou cinéma, Laurent Queyssi revisite ses passions par le biais de la fiction et part à la recherche des créateurs dissimulés derrière leurs créations. « 707 Hacienda Way », écrit en collaboration avec Ugo Bellagamba, nous permet de rencontrer dans quelque univers parallèle Jane C. Dick, auteure culte de l’uchronie La Sauterelle pèse lourd, tandis que « Planet of Sound », co-signé par Jim Dedieu, réécrit l’histoire des Pixies (rebaptisés pour l’occasion Sugarmaim) dans un contexte où l’on s’attend à chaque instant à voir débarquer une bande d’aliens musicophiles. On retrouve le même côté ludique dans « La Scène coupée (Fantômas, 1963) », où le héros de Souvestre et Allain rencontre son interprète le plus fameux, sinon le plus fidèle. Mais au-delà des clins d’œil inhérents à ce type de texte, ce qui intéresse en premier lieu Laurent Queyssi, c’est de s’introduire dans les coulisses de la création, d’observer le réel qui donne naissance à la fiction. C’est ainsi que « Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps » révèle les secrets du développement d’une série télé, ses rivalités et ses règles parfois totalement grotesques.
D’autres récits s’inscrivent dans un registre plus sombre. « Sense of Wonder 2.0 » se penche sur un futur qui ne chante plus, où des bandes d’ados sponsorisées par de grandes marques s’affrontent dans un décor de zone commerciale sordide, et où l’on ne peut plus compter que sur des palliatifs chimiques pour espérer encore rêver. Etrangement, la vie ne semble guère plus enviable dans l’enclave pour milliardaires de « Fuck City », où on trompe son ennui comme on peut, où on s’emmerde royalement, mais où on ne cèderait sa place à personne.
Au cynisme et à la noirceur de ces deux textes qui ouvrent le recueil, Laurent Queyssi oppose, comme un démenti, « Nuit noir, sol froid », le texte le plus étonnant du sommaire, quand bien même il aborde l’un des thèmes les plus traditionnels de la SF, celui du vaisseau générationnel. Là où « Sense of Wonder 2.0 » semble nous dire que la science-fiction n’est plus capable aujourd’hui de nous faire rêver, cette dernière nouvelle se conclut sur une idée vertigineuse de toute beauté. Et le récit est d’autant plus réussi que l’auteur y fait montre d’un talent de conteur qu’on ne soupçonnait pas forcément au regard du reste de sa production.
A l’exception de « Rebecca est revenue », nouvelle ratée où il bataille en vain pour exposer de manière intelligible le concept qu’il met en scène, les autres textes au sommaire de ce recueil montrent toute la diversité et le talent dont peut faire preuve Laurent Queyssi, une érudition allègre qui s’appuie sur un solide sens du récit et une inventivité permanente.