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Les critiques de Bifrost

Création

Johan HELIOT
J'AI LU
256pp - 16,50 €

Critique parue en janvier 2012 dans Bifrost n° 65

Aux portes du Sinaï, dans le désert du Néguev, une étonnante singularité est apparue. Semblable à un jardin nimbé d’une lumière dorée comme le miel, elle défie de ses ramages les observateurs les plus sceptiques. En cette terre aux monothéismes chatouilleux, fertile en prophéties de tout acabit, l’événement a de quoi émouvoir, voire inquiéter les bonnes consciences. Comme un boutefeu dans une région qui ressemble déjà à une poudrière peuplée d’habitants aimant jouer avec les allumettes. En fait, il s’avère que le phénomène prend racine dans les expériences secrètes menées par le gouvernement israélien depuis des décennies au cœur du complexe de la Dimona. Un programme auquel se trouve mêlée bien malgré elle Rachel, jeune botaniste moléculaire prometteuse.

L’événement attire immédiatement les convoitises, en particulier celles de Zacharie Gran-ville, le webangéliste bien connu de la toile. Mobilisant ses ressources et ses fidèles, le milliardaire créationniste monte une expédition en vue de survoler les lieux afin d’en dévoiler ses secrets. Pour couvrir son exploit, il fait appel à Saïd Machker, un virtualiste — une variante high-tech du reporter d’investigation — désabusé et revenu de tout. Même si le bonhomme n’a que peu d’attrait pour l’aventure, la perspective d’une grasse rémunération achève de le convaincre. Parallèlement à l’entreprise du milliardaire, idole des foules zélées, un soldat des forces spéciales françaises doit sauver sa peau. S’étant réveillé dans un verger inconnu, très éloigné du désert où il a perdu connaissance la veille, il est désormais traqué par une créature aussi dangereuse qu’invisible.

Qualifié de porte-étendard d’une nouvelle génération d’auteurs français (dixit la quatrième de couverture, qui n’a peur de rien…), Johan Heliot n’est pourtant plus vraiment un perdreau de l’année. Si l’on devait le présenter, il faudrait plutôt le classer parmi les écrivains les plus expérimentés et les plus prolifiques de l’Imaginaire francophone. Mais force est de constater qu’au fil des ans et des romans, il ne semble pas vieillir, tant son talent de raconteur d’histoires témoigne d’une fougue juvénile, comparable en cela à celle de Christophe Lambert, autre insatiable raconteur d’histoires touche-à-tout.

Premier auteur français à paraître dans la jeune collection « Nouveaux millénaires », Johan Heliot revisite avec Création un des plus vieux mythes de l’humanité, renouant par la même occasion avec un des thèmes classiques de la SF. Il ne faut toutefois pas chercher chez Heliot un vertige spéculatif semblable à celui rencontré dans les nouvelles et romans de Greg Egan. L’auteur français est bien plus à l’aise lorsqu’il s’agit d’explorer, du point de vue de la narration, les pistes ouvertes par son argument de départ. Et même si ses idées ne brillent pas toutes par leur caractère inédit, elles donnent cependant lieu à quelques belles images, on pense notam-ment à ce jardin infini, carrefour entre les multiples mondes.

Bien entendu, l’auteur étant coutumier du fait, l’intertextualité joue à plein. Comment ne pas penser à Contact de Carl Sagan et à Predator de John McTiernan en lisant Création ? Cette intelligence extraterrestre, ce dessein intelligent, avec lequel Zacharie Granville cherche à entrer en contact, suscite moult réminiscences chez le lecteur de SF normalement constitué. Et si le parallèle entre le scientifique et le réalisateur de blockbuster d’action confine au grand écart, rassurons immédiatement le lectorat : Johan Heliot se tire avec panache du guêpier, évitant également les raccourcis faciles sur la situation géopolitique au Proche-Orient et sur le créationnisme.

Au final, Création rejoint sans tarder cette catégorie d’ouvrages sans prise de tête qui nous fait oublier sa brièveté par son humour, sa fraîcheur et son rythme. Un très bon moment de détente, en somme.

Laurent LELEU

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