On pourrait facilement qualifier Cygnis de roman synthétique, à tous les sens de l’adjectif. Les multiples références qui l’irriguent en font en effet une sorte d’artefact, de produit artificiel et composite, dont le charme réside précisément dans cette mosaïque de sous-cultures littéraires, voire cinématographiques, qui en détermine le sens et la dramaturgie.
Futur lointain : le monde a connu une dévastation de forte magnitude. Syn est un trappeur cheminant au milieu des ruines, dans un décor post-apocalyptique dominé par la présence écrasante de la nature. Il n’a pour seuls compagnons qu’un loup cybernétique et un fusil. Il réussit des prouesses quasiment surhumaines au combat, qui lui permettent d’abattre toutes sortes de machines hostiles au genre humain, de sauver des veuves éplorées, et bien sûr de survivre aux embuscades dressées par ses congénères. Syn est le modèle du bon sauvage, qui se tient dans la mesure du possible éloigné des lieux de civilisation, sauf quand il cherche un peu de réconfort. Le destin de ce parangon d’honnêteté foncière et de rectitude va basculer en deux temps : lorsqu’il est sommé, à la suite d’un rapt de femmes, de choisir entre deux communautés rivales ; lorsque, cherchant à fuir ce choix qu’il ne veut surtout pas prendre, il se retrouve à sauver la veuve éplorée de trop. Commence dès lors une quête existentielle qui l’amènera à découvrir une vérité inconcevable (enfin presque).
Le plaisir qu’on prend à la lecture de Cygnis ne tient pas vraiment aux personnages, réduits le plus souvent à une forme d’épure reposante mais un brin caricaturale. Outre le trappeur, trois ou quatre individus font l’objet d’une attention particulière, sans qu’on arrive à déterminer ce qui les distingue vraiment du tout venant des communautés tribales décrites par l’auteur. Mêmes désirs, mêmes besoins, mêmes rêves. Des silhouettes plus que des figures inoubliables, dont on suit les trajectoires parfois avec un peu trop de détachement. Voilà peut-être le côté le plus déstabilisant du travail de l’auteur, qui, tenté par une approche originale (raconter le quotidien et la vie intérieure de ses personnages sous l’angle le plus banal, le plus trivial), s’essaie à une sorte de naturalisme sans jamais y céder complètement — ou alors avec quelque maladresse.
En revanche, Vincent Gessler a mis dans son récit tout le poids d’un imaginaire qui puise autant dans les miniatures du Moyen-Age que dans les fresques apocalyptiques dignes de la saga de Mad Max, ou encore dans les westerns à tendance contemplative. On pense très fort à Jeremiah Johnson, aux films de Malick, par exemple. Le souvenir de toutes ces fictions vient sans cesse, mais fort heureusement, parasiter une trame assez squelettique.
Par ailleurs, l’empreinte stylistique rattrape avec brio les faiblesses qu’on a pu relever. L’histoire, racontée sur un tempo lent, fait la part belle aux longues descriptions d’une nature sublimée (Gessler n’est pas Suisse pour rien !) que viennent scander de loin en loin quelques séquences d’action ultrarapides ou des plages de méditation d’un lyrisme joliment sirupeux. Gessler possède une écriture immersive, qui flatte les sens du lecteur, et qui évoque, pour rester dans le domaine de la S-F, la façon d’un Orson Scott Card (sagas d’Alvin le Faiseur et de la Terre des Origines, même éditeur).
Excellent patronage, ma foi, pour un auteur débutant (il signe ici son premier roman) mais qui promet déjà beaucoup.