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Les critiques de Bifrost

Dans le jardin d'Iden

Dans le jardin d'Iden

Kage BAKER
RIVAGES
302pp - 21,00 €

Bifrost n° 27

Critique parue en septembre 2002 dans Bifrost n° 27

« Où comment exploiter aux trois-quarts seulement une jolie idée ». Tel pourrait être le sous-titre de ce roman. Et c'est fort dommage.

Nous sommes au XXIVe siècle, et une botaniste décide de nous raconter sa vie, qu'elle a passée au service de l'entreprise Dr Zeus. Là où les choses commencent à être croustillantes, c'est que sa vie a débuté un peu avant 1540, quelque part près de Saint Jacques de Compostelle ! Comment ? Pourquoi ? Dr Zeus est une firme qui a inventé l'immortalité et qui, afin de vérifier que son invention fonctionnait, a également appris à maîtriser le voyage dans le temps. C'est logique : vous vous projetez dans le Moyen Âge, vous traitez un « cobaye » pour le rendre immortel, et vous revenez ensuite au XXIVe siècle pour vérifier qu'il est toujours vivant. Et, au passage, vous justifiez le mythe du Juif Errant. Seulement voilà : l'immortalité ne marche pas sur tout le monde et coûte très cher. Or, les vieux milliardaires qui peuvent se l'offrir font de très mauvais sujets. Reste un seul moyen d'exploiter et de rentabiliser ces découvertes : rapporter du passé des choses aujourd'hui perdues — pourvu que l'on respecte la règle qui veut que « l'histoire écrite ne peut être changée ». Tel tableau a été détruit ? Il le sera tout de même… Mais si vous avez pu lui substituer une copie avant sa destruction, c'est elle qui disparaîtra dans le passé, et il vous restera l'original. Vous suivez ? Parfait. Bon, il ne reste alors qu'une chose à faire : recruter dans le passé des enfants, en faire des immortels, et les laisser traverser le temps en leur donnant pour mission de sauvegarder tout ce qui peut servir aux humains et qui a malencontreusement disparu avant le XXIVe siècle.

Notre botaniste s'est donc fait recruter dans un des cachots de l'Inquisition, où elle avait échoué par erreur. Son enfance et sa formation au centre d'entraînement 32-1800 de Terra Australis sont racontées par Baker avec un humour et une verve peu communs. On ne s'ennuie pas une minute devant les réparties spirituelles de la petite Mendoza, tant face à ses Inquisiteurs que lorsqu'elle porte un regard amusé sur ses années d'école. Le récit est plus qu'attachant : esthétique, bien mené, il est parfaitement servi par l'impressionnante culture de l'auteur sur la période concernée. On se dit qu'avec tout cela, le reste de l'œuvre ne peut être que splendide et drôle…

Première mission pour Mendoza : débarquer en Espagne, sous l'identité de la señorita Rosa Anzolabejar, dans une famille d'accueil composée de membres de l'organisation de Dr Zeus, en prévision d'un voyage en Angleterre qui doit les mener tout droit dans le jardin botanique d'Iden, un noble farfelu collectionneur d'espèces animales et végétales rares. Si le texte conserve sa drôlerie, c'est ici néanmoins que les choses commencent à s'enliser. Parce qu'on ne ressort plus de ce jardin : Mendoza y rencontre un jeune homme protestant, dont elle tombe bien sûr amoureuse, ce qui fait un tantinet désordre pour une prétendue jeune fille de bonne famille espagnole, d'autant que Marie Tudor vient d'accéder au trône, qu'elle épouse le prince Philippe d'Espagne, laissant envisager le retour de l'Inquisition, et que les espagnols sont cordialement détestés des insulaires… Le roman s'enferme dès lors dans une histoire d'amour impossible somme toute banale, émaillée d'événements politiques dont on a parfois du mal à suivre les méandres. Bref, un sentiment de déception s'instaure inéluctablement, sentiment accru par une fin assez convenue.

Au final, Dans le jardin d'Iden tient tout son charme de la culture historique et du talent de conteur de Kage Baker, mais il gagnerait à être délesté des longueurs « romanesques » qui le tirent parfois trop loin du projet originel, vers le roman élisabéthain classique. Il n'en reste pas moins que la lecture en est agréable et qu'on en ressort moins ignorant sur la période du règne de Marie Tudor.

Sylvie BURIGANA

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