Connexion

Les critiques de Bifrost

Délires d'Orphée

Délires d'Orphée

Catherine DUFOUR
BALEINE
156pp - 9,90 €

Bifrost n° 48

Critique parue en novembre 2007 dans Bifrost n° 48

[Critique commune à Cold Gotha, Tous ne sont pas des monstres, Mastication, Question de mort, Délires d’Orphée, Léviatown et Mickey Monster.]

« Il arrive que l’œil capture une silhouette, celle d’un monstre sur un mur de béton, que l’oreille entende un hurlement surgissant d’une impasse. On se dit que c’est la fatigue, le stress de la vie moderne, et l’esprit reprend le dessus, pour retourner à la routine rassurante. En général, c’est ce qu’il faut faire, parce que la vie est banale, qu’elle n’a rien d’extraordinaire. Mais parfois il y a un monstre dans le béton, et l’horreur se déchaîne dans l’impasse. Alors on ne peut compter que sur le Club Van Helsing. » (Texte du rabat de droite.)

Voici donc les sept premiers volumes du Club Van Helsing, une collection créée et dirigée par Guillaume Lebeau et Xavier Mauméjean qui rappelle un peu L’Agence Arkham de Francis Valéry (série publiée il y a quelques années aux défuntes éditions DLM et dont, logiquement, au vu de la qualité des textes qui la composaient, personne ne se souvient). Première bonne surprise concernant Le Club Van Helsing : les livres sont jolis, avec leur couvertures N&B, leur pelliculage sélectif et leurs rabats.

Mais qu’est-ce que le Club Van Helsing ?

Ceux qui, comme moi, ont commencé par la lecture du Maud Tabachnik Tous ne sont pas des monstres, mais qui, contrairement à moi, n’ont pas poursuivi la série, ne pourront guère répondre à cette question, car le club de chasseurs de monstres n’y apparaît pas, à part une rencontre londonienne (et inutile) entre le personnage principal, Nathan, et Hugo Van Helsing, entrevue falote à laquelle on ajoutera une inscription sur une tombe et c’est à peu près tout. Pour le reste, nous avons affaire à un texte éclaté en nombreux points de vue qui évoque les pires pages paranoïaques de Philippe de Villiers, Maurice G. Dantec et Dan Simmons : d’un côté de sales arabes de merde financés par Ben Laden (ah ah ah !) invoquent un Djinn en banlieue ; de l’autre, face à l’incurie des forces de maintien de l’ordre françaises, incurie qui pourrait bien provoquer la fin de notre monde occidental aux si belles valeurs (le pognon avant tout !), un super-héros juif (un peu con, mais ça c’est mon point de vue) va à Prague où il réveille le golem du Rabbi Löw. Le bien (les Juifs), le mal (les Arabes), la banlieue qui flambe à cause du noyautage terroriste islamiste (et surtout pas du chômage, du culte de l’argent facile et du racisme ambiant) ; un tel concentré de clichés pro-israéliens et anti-islamistes laisse pantois et il n’en faut pas plus pour jeter cet étron tiède à la poubelle en espérant que les éboueurs (probablement issus de l’immigration) ne tarderont pas à passer. C’est sûr qu’avec des textes de cet acabit, au mieux maladroits, au pire manichéens et simplistes, on progresse sur la voie de la tolérance et de l’intégration. A boycotter avec force ! Même si les intentions de Tabachnik (connue pour ses engagements politiques) étaient probablement bien moins puantes que son livre.

Ça ne s’arrange guère avec Cold Gotha de Guillaume Lebeau où Hugo Van Helsing joue au chasseur de vampires en Californie. L’auteur a visiblement trop regardé 24 heures chrono et trop lu la sous littérature de Tom Clancy ; résultat, il se prend pour un auteur de best-sellers américain et nous inonde de marques (Paul Smith, Vuitton, Converse, Yohji Yama-moto…), de détails techniques inutiles (« … les trois moteurs Honeywell TFE731-60 se turent », page 8), de calibres divers et variés (« un SABR calibre 5,56 mm. Lance-roquettes 20 mm semi-automatique alimenté par chargeur », page 23). Au final, ça ressemble à « Bécassine vient de découvrir les possibilités infinies d’Internet et écrit son SAS », et les seules fois où on rit, c’est face au sérieux imperturbable de ce mini-thriller-vampirique ennuyeux, plus con que le Da Vinci Code et rempli jusqu’aux marges de « Mossberg 500 », d’« Igla-S développé par KBM Mashynostroeniya », de « GT-500KR 1968 ». On imagine sans mal ce que donnerait une scène de cul écrite par Lebeau : « Il déroula sur les 144 premiers millimètres de sa verge en expansion sanguine un préservatif Durex nervuré, modèle straightpussy, marque déposée, n°de lot Fr-0666252134. Puis il soupesa ses testicules d’un diamètre de 3,81 cm à droite, 3,92 à gauche, avant de pénétrer Belinda avec un angle de 37,2° (le matin ?)… ». Allez, zou, poubelle !

Arrivé à la seconde fournée, un choix cornélien s’impose : soit lire le Bizien sur les loups-garous, soit lire le Heliot sur le sphinx. Après une courte hésitation, j’attaque le Bizien, qui commence très très mal : « Le personnage de cette histoire est raciste, homophobe et sanguinaire. Si l’auteur a eu grand plaisir à narrer ses aventures, il est évident qu’il ne partage aucunement ses idées », page 5. Si c’est si évident, pourquoi l’écrire ? Il me semblait que depuis la parution de La Mort est mon métier de Robert Merle, ce type de justifications ambiance « les lecteurs sont tellement cons, surtout levons toute ambiguïté » était devenue totalement inutile. Il faut croire que non… Quant au texte, il met en scène, sans grand panache, Vuk, ex-légionnaire et vétéran serbe qui massacre la moitié des vampyres et lycanthropes du sous-Paris, pour le compte de Winston Lester Kobayashi Takakura, à moins que ça ne soit pour celui d’Hugo Van Helsing. Ecriture coup de poing et bâclée (on dirait un Blade — pas le vampire, l’autre), scènes d’action nombreuses mais sans enjeux, récit sans véritable horizon d’attente : Mastication c’est Underworld 2 sans Kate Beckinsale, une aventure plus Kronenbourg  que glamour, saupoudrée d’une bonne dose du jeu de rôle Vampire — la Mascarade… Une série B un brin rock’n’roll, pleine de clins d’œil cinéma, de blagues foirées ; un textaillon (équivalent littéraire du gravillon) qui se laisse lire, dans le métro par exemple, mais qu’on oubliera sitôt la dernière page tournée. Pas scandaleux, jamais enthousiasmant. En tout cas, un texte qui est bien plus à sa place, chez Baleine, que les deux précédents.

Passons maintenant au cas Johan Heliot : Question de mort.

Big B. est un monstre, énorme, surarmé. Il se promène dans un Hummer avec, à l’arrière, une créature qui n’est ni un chien ni un singe et ne semble consommer que des sauces en sachet.

Big B. est un justicier qui travaille comme chasseur de monstres pour le compte d’Hugo Van Helsing, ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, d’avoir une vision de la justice particulière : « Partout, on trouvait des clones de ce mec, qui veillaient à ce que leurs contemporains appliquent à la lettre les lois et règlements édictés pour le bien de la collectivité. Partout, ils cassaient les burnes aux dangereux terroristes du quotidien qui ne ramassaient pas les merdes de chiens ou traversaient aux feux rouges. Ces citoyens incarnaient les valeurs morales du pays avec une fierté d’autant plus imbécile qu’elle représentait le plus haut degré d’engagement politique dont ils étaient capables. » (Page 36.)

Big B. est à la poursuite du Sphinx et de ses deux assesseurs. Un sphinx qui découpe ses victimes quand celles-ci ne savent pas répondre à ses énigmes, un monstre qui n’hésite pas à faire des snuff movies qu’il balance ensuite sur l’Internet.

Première réussite du Club Van Helsing, Question de mort est une série B très marquée par les films d’horreur des années 70 et du début des années 80 (Massacre à la tronçonneuse, Evil dead, Vendredi 13, La Colline a des yeux…) Ce portrait d’une Amérique dégénérée évoque le célèbre épisode de la saison 4 de la série X-Files, « La Meute » (« Home » en VO). On est là face à un texte d’ambition restreinte, mais bien écrit, bien mené et plein d’humour (parfois pipi-caca — les lecteurs de Stephen King ne seront pas dépaysés). Adepte d’une littérature populaire de qualité, Johan Heliot semble être le seul des quatre premiers auteurs à avoir trouvé l’esprit Van Helsing, c’est-à-dire l’esprit X-Files, pour simplifier.

Vient ensuite Délire d’Orphée de Catherine Dufour, le mieux écrit des sept, sans aucun doute, mais paradoxalement le plus ennuyeux. On y suit Senoufo Amchis, tueur de cachalot, engagé par Hugo Van Helsing pour détruire une carapace de tortue d’un coup de harpon. Si ce petit livre est un joli portait de chasseur de monstres, c’est surtout une novella ultra linéaire, sans surprise aucune, dont l’histoire (d’adultère…) tient sur un ticket de métro plié en deux. Dans ses moments les plus inspirés, Dufour livre de belles pages sur Londres, la mer, le désir ; le reste du temps, elle étire comme elle le peut la matière d’une novelette. Dommage.

Mickey Monster de Denis Bretin et Laurent Bonzon (auteurs du Masque qui signent Bretin & Bonzon) surprend. D’abord, parce que c’est le Club Van Helsing qui respecte le plus la bible de la série. Ensuite, parce que cet hommage appuyé aux séries Z (plusieurs sont d’ailleurs planquées ici et là, au détour d’une description ou d’un dialogue) fonctionne à 100%. En deux mots, Mickey Monster est un remake de Blob (avec Steve McQueen) et Gremlins (le personnage du narrateur est inventeur, comme le papa acheteur du mogwai). Ce court roman a une petite musique, très agréable. L’ambition n’est pas bien haute, mais le résultat est tout à fait sympathique. Et je me suis même surpris à éclater de rire deux ou trois fois ; notamment lors de la scène de la demande en mariage, tout à fait savoureuse, faisandée comme il se doit. Malgré quelques failles scénaristiques dignes d’Ed Wood, ce Club Van Helsing est un petit bijou, crétin et jouissif, parfum Braindead. Dans la même veine que le Heliot, mais en plus marrant.

Quant à Leviatown de Philip Le Roy, c’est plus ou moins Notre-Dame des ténèbres de Fritz Leiber réécrit par Chuck Norris ou Steven Seagal. Même à doses homéopathiques (3-4 pages, le soir) ce concentré de ninjâneries, de blagues de mercenaires et de citations cinématographiques est insupportable. Extrait :

« Desert Eagle .50 Action Express, déclara Samsonite. Le calibre le plus puissant au monde pour une arme de poing semi-automatique. A faire passer du .44 Magnum pour une crotte de nez.

– ‘Utain cha fait mal conach’ ! se plaignit Mendez

– Le fait qu’il y ait écrit GROS CON sur ton front et DESERT EAGLE sur mon flingue devrait pousser tes deux petites noix à se casser et toi avec. » (page 27.)

Au final, de ces sept premiers Club Van Helsing, on retiendra le Johan Heliot, maîtrisé et plaisant, et l’hommage de Bretin & Bonzon à tous les Attaque de la moussaka géante, Blob et autres tomates tueuses. Pas de quoi sauter au plafond, surtout à dix euros le petit livre.

Thomas DAY

Ça vient de paraître

La Maison des Jeux, l'intégrale

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 116
PayPlug