Daniel KEYES
J'AI LU
256pp - 5,00 €
Critique parue en octobre 2011 dans Bifrost n° 64
[Critique commune à Algernon et moi et Des Fleurs pour Algernon.]
D’abord publié sous forme de nouvelle en 1959 (prix Hugo l’année suivante), puis sous forme de roman en 1966 (prix Nebula), Des Fleurs pour Algernon est un des chefs-d’œuvre incontestés de la science-fiction. Il a été adapté en téléfilm tourné en direct, puis au cinéma en 1968 (Charly, Ralph Nelson). Suivront encore deux téléfilms, dont un franco-suisse (en 2006) tout à fait regardable. Plus difficile à croire, Des Fleurs pour Algernon a aussi été adapté en pièce de théâtre, en comédie musicale et en spectacle de danse.
Tout le monde connaît la trame de ce classique : Charlie, arriéré mental employé dans une boulangerie, voit son intelligence accrue grâce à une opération chirurgicale ; avant lui, c’est une souris de laboratoire, Algernon, qui avait reçu le même traitement. Charlie tient son journal, tombe amoureux de sa thérapeute, couche avec une artiste un peu fofolle, jusqu’à ce que son intelligence commence à décroître, puis Algernon se laisse mourir… Roman plutôt audacieux pour l’époque (cruauté parentale, bizutages sordides, scènes de schizophrénie, sexualité explicite ; n’oublions pas que Les Amants étrangers de Farmer date de 1961), Des Fleurs pour Algernon est publié chez J’ai Lu depuis 1972, où il est réédité régulièrement tous les trois ou quatre ans. D’ailleurs, à ce sujet, il serait bon que quelqu’un se penche sur la traduction de Georges-Henri Gallet, où (entre autres erreurs/ maladresses) college est traduit collège même quand il s’agit d’une université, ce qui donne quelques faux sens assez croquignolets (Charlie, alors d’une intelligence supérieure, ne va pas à la bibliothèque du collège, mais bien en bibliothèque universitaire). Encore un de ces nombreux romans américains dont les personnages prennent leur café avec de la crème et du sucre (cream = lait).
En terme de notoriété mondiale, d’adaptations, Des Fleurs pour Algernon est LE livre de Daniel Keyes (même s’il est injuste d’oublier Les Mille et une vie de Billy Milligan) ; un phénomène qui méritait sans doute que l’auteur y revienne. Chose faite en 1999 avec Algernon, Charlie et moi, trajectoire d’un écrivain, une autobiographie partielle (il y est peu, voire pas du tout, question des autres romans de l’auteur), avec laquelle s’ouvre la collection « Nouveaux millénaires » (en sus du fort médiocre Idlewild de Nick Sagan). Un choix curieux, l’ouvrage, peu commercial, semblant s’adresser avant tout aux enseignants qui font lire Des Fleurs pour Algernon à leurs élèves (dans cette optique, c’est un livre incontournable). On ne peut pas dire que cette trajectoire d’écrivain soit très palpitante ; si on s’intéresse beaucoup à l’expérience de Keyes dans les pulps, à ses fréquentations (William Tenn, Horace L. Gold, Lester Del Rey), le reste est très en dessous. Le processus de création de Daniel Keyes est laborieux (ce qui explique sans doute son statut d’auteur d’un seul roman). Sa longue collaboration avec Stan Lee (des centaines (!) de scénarios) est évoquée en trois phrases. Globalement, l’auteur, hanté (et donc en un sens maudit, même s’il y a des malédictions plus désagréables, vu le succès de son œuvre), ne s’intéresse dans cet ouvrage qu’à Charlie et Algernon : comment ils sont nés dans son esprit, comment ils sont nés sur papier, puis à la télé, au cinéma, en comédie musicale, etc. Le tout pourrait être brillamment écrit, mais non, c’est assez terne, seuls quelques morceaux de bravoure (la mort du marin, l’embauche dans le monde des pulps) donnent du corps au texte. Quand on compare avec Une sorte de vie (suivi de Les Chemins de l’évasion) de Graham Greene, le choc est rude.
Au final, Algernon, Charlie et moi, trajectoire d’un écrivain est un livre mineur, souvent intéressant mais jamais passionnant (on s’y ennuie ferme, ici et là), un ouvrage à réserver aux enseignants concernés, aux spécialistes hardcore de la SF et aux fans absolus de Des Fleurs pour Algernon. Notons toutefois que l’éditeur a eu la bonne idée de placer à la fin de l’ouvrage la version courte, originelle, de la nouvelle « éponyme ».