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Les critiques de Bifrost

Dr Bloodmoney

Philip K. DICK
J'AI LU
254pp - 6,20 €

Critique parue en mai 2000 dans Bifrost n° 18

Début juillet 97, je lus dans un quotidien régional un entrefilet titré « Son jumeau était dans son ventre », relatant la découverte, dans l'abdomen d'un adolescent égyptien, du fœtus assez développé de son jumeau. Au vu de ces lignes, tout lecteur de Dr Bloodmoney ne peut que se remémorer aussitôt le livre, tant y est saisissant le couple que forme Edie Keller, la petite fille de sept ans, avec Bill, le jumeau vestigial aux étranges pouvoirs, logé près de son appendice et avec lequel elle seule peut communiquer.

Parmi les personnages principaux, Edie et Bill sont les seuls dont nous faisons la connaissance après le Cataclysme, et pour cause, puisqu'ils ont été conçus au jour C. C'est ce même jour, quelques heures avant la chute des bombes, que nous sont présentés les autres, tous adultes, au centre desquels se distingue le phocomèle Hoppy Harrington, doté lui aussi de pouvoirs psis (tant dans ce roman ceux qui semblent les plus à plaindre, les plus diminués, sont en réalité les plus puissants — référence biblique aux derniers et aux premiers ?). Hoppy grâce à ses pouvoirs, est un réparateur hors pair, très apprécié et jalousement protégé par les habitants de la petite communauté rurale de l'ouest du Marin County dans laquelle, sept ans après, se retrouvent la plupart des personnages et où se concentre la majorité de l'action. Depuis le Cataclysme, le monde dévasté n'est plus qu'une mosaïque de communautés similaires et de villes en ruines infestées d'animaux mutants, et le sentiment d'unité des survivants n'est préservé que grâce à l'astronaute qui, coincé depuis le jour fatal dans un satellite en orbite, sert inlassablement de disc-jockey à la planète.

Dans un tel décor, Dick a beau jeu de glorifier une fois de plus le manuel, le détenteur de ces connaissances pratiques immédiatement applicables plutôt dévalorisé dans notre propre société. Ce sont les réparateurs (comme Hoppy), les experts en champignons, les fabricants de lunettes et de cigarettes, qui sont les gens de valeur, non les physiciens atomistes ou les psychologues. « Ce n'est pas avec de la psychologie qu'on fait les fosses septiques », souligne le responsable de l'école.

Ce livre, écrit en 1963 par un Dick au sommet de son art, est aussi un des plus indiqués pour faire connaissance avec l'œuvre de l'auteur. Car s'il traite un sujet archi-classique (l'holocauste nucléaire et ses conséquences est un des thèmes « bateaux » de la S-F), c'est de façon originale et personnelle, on retrouve la plupart de ses marques de fabrique : les pouvoirs psi, le pessimisme fortement teinté d'humour noir, la réflexion sur le pouvoir, l'attachement aux personnages, la perception de la réalité qui diffère selon les individus, servie par une technique de point de vue multifocale (le chapitre cinq, qui nous fait vivre sept fois la chute des bombes, à chaque fois dans la peau — ou plutôt la tête — d'un personnage différent, est sur ce point impressionnant). Cette thématique est de plus traitée sur un ton qui, allant du mélancolique au facétieux, est plus positif et par conséquent plus accessible que dans la majorité de ses autres ouvrages.

Profanes, n'hésitez pas ! Initiés, replongez-y !

Gilles GOULLET

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