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Les critiques de Bifrost

Chute

Chute

Brandon SANDERSON
CALMANN-LÉVY
288pp - 19,90 €

Bifrost n° 58

Critique parue en avril 2010 dans Bifrost n° 58

Depuis le succès du dernier tome paru de la Roue du Temps sous la signature de Brandon Sanderson, ce dernier est LE nouvel auteur en vue de la fantasy anglo-saxonne.

Daté de 2005 en VO, Elantris est son premier roman et — la vie est bien faite — le premier publié en France. L’auteur y fait montre d’une telle maîtrise de l’écriture et du récit que, même si quelques « forumeurs » grincheux et aigris y trouveront à redire, on serait bien en peine d’y déceler les erreurs de jeunesse d’une première publication.

Après neuf romans, Brandon Sanderson a déjà son style mais surtout ses thèmes, ses leitmotivs wagnériens, et Elantris n’échappe pas à la règle : un système de magie réellement original, et un monde ayant subi une catastrophe quasi apocalyptique. Deux éléments également présents dans Warbreaker, et qui sont poussés à leur paroxysme dans ce qui est, à ce jour, son véritable chef-d’œuvre : la trilogie Fils des brumes (qui devrait être paru, toujours sous le label Orbit, au moment où vous lisez ces lignes). Sanderson y a d’ailleurs tellement sublimé ces deux aspects qu’il va sans doute devoir les abandonner pour ses prochaines œuvres… Mais revenons à Elantris. Heureuse surprise, ce roman est une histoire indépendante qui n’appelle aucune suite, ce qui est fort rafraîchissant en ce monde de massacreurs d’arbres. Nous sommes bien loin donc de ces interminables cycles de fantasy « au kilomètre », ennuyeuses successions de non événements et autres trépidants récits de chiens écrasés, publiés dans le seul but d’aider l’auteur à payer des impôts générés par l’incompréhensible succès du premier tome d’une dodécalogie à géométrie variable. On notera par ailleurs que l’on parle d’Elantris et non d’Elantris premier tome et Elantris deuxième tome, l’éditeur français ayant choisi de couper le roman en deux sans justification réelle autre que l’ambition manifeste de saigner le porte-monnaie du lecteur… Oublions donc ce découpage arbitraire (qui nous amène tout de même le roman complet à près de 40 euros !) pour ne parler que d’Elantris, tout simplement.

Le récit se déroule dans un monde magique qui, s’il a subi une catastrophe et paraît sur le point de sombrer dans l’obscurantisme religieux, n’en reste pas moins plus proche de la Renaissance que de ce que les anglo-saxons appellent les Ages Sombres. Jadis le Shaod, une magie mystérieuse, « frappait » parmi la population du royaume d’Arelon, transformant ses victimes en demi-dieux à la magie surpuissante, qui émigraient alors dans la cité immortelle d’Elantris, véritable phare de l’humanité et gardienne de la civilisation. Mais il y a dix ans, le Shaod s’est corrompu et ses victimes, nouvelles comme anciennes, sont devenus des mort-vivants dépourvus de pouvoirs dont la longévité surnaturelle est une torture sans fin. La chute d’Elantris a eu des répercussions catastrophiques pour le monde en général et pour le royaume d’Arelon en particulier, causant révolutions, coups d’Etat et invasions de fanatiques orientaux bien décidés à baptiser l’humanité à coups de sabre.

C’est dans ce monde en sursis que débarque Sarène, l’héritière d’un des derniers royaumes osant défier les théocrates orientaux, et dont le mariage avec un prince de l’Arelon doit sceller une alliance défensive primordiale. Mais lorsqu’elle arrive dans le pays de son futur époux, on lui apprend que ce dernier est mort — elle ignore qu’il a été frappé par le Shaod et qu’il erre dans les ruines d’Elantris au milieu de ses compagnons d’infortune. En tant que princesse du royaume, elle se retrouve alors au centre des intrigues politiques de la cour et en conflit ouvert avec le prélat oriental, envoyé pour préparer plus ou moins discrètement la voie aux croisés de son maître.

La suite est une série de complots, de sacrifices humains, d’intrigues de cour et d’investigation magique pour à la fois lutter contre les envahisseurs et redonner à Elantris sa puissance et sa gloire passées.

Comme dans tous les romans de Sanderson, les rebondissements et les révélations sont nombreux sans être téléphonés ou irréalis-tes, et le manichéisme en est totalement absent. Les personnages sont particulièrement réussis, avec une mention spéciale pour l’héroïne, ce qui n’est pas si courant dans un livre de fantasy écrit par un homme. Si les fanatiques orientaux font office de méchants, ils le sont en niveaux de gris, et leurs adversaires ne sont pas tous bienveillants, loin s’en faut.

On est donc agréablement surpris, transporté, et l’on suit avec ferveur la quête de la princesse obstinée qui tente de sauver son royaume d’adoption tout en recherchant la cause de la corruption du Shaod et de la magie d’Elantris. La description de la cité en ruines et de ses habitants mort-vivants est poignante et constitue l’un des éléments clés du roman.

Le dénouement ne déçoit pas, au contraire, et fait paradoxa-lement regretter qu’il ne puisse y avoir de suite. Gageons que le succès de Sanderson le mette de toute façon à l’abri des suites à la « mon comptable et mon agent m’ont convaincus de le faire » !

Voici en résumé un très bon roman de fantasy, original, par un auteur prometteur, une excellente mise en bouche, en somme, en attendant d’attaquer ce qui est peut-être le meilleur cycle de fantasy des années 2000 : la trilogie du Fils des brumes !

Mathias ROUSSEAU

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