[Chronique commune à Mon nom est Titan et à En un autre pays.]
Mon nom est Titan clôt la sélection raisonnée des nouvelles de Robert Silverberg entamée par Jacques Chambon dans la collection « Imagine », chez Flammarion, et achevée ici, chez J'ai Lu, par un Pierre-Paul Durastanti non crédité (la sélection initiale de Chambon et Silverberg prévoyait cinq volumes, le dernier ayant finalement été publié chez Folio « SF » sous la forme de deux recueils distincts : En un autre pays et Né avec les morts). Les commentaires qui accompagnent les 23 nouvelles du volume J'ai Lu permettent de mieux comprendre comment Silverberg gère à présent sa carrière : un roman annuel durant la saison des pluies, quelques nouvelles, souvent de commande, pour des supports payant bien, voire mieux que ça, le plus souvent inspirées de voyages touristiques et culturels. La plupart des commentaires en question ont vraisemblablement été rédigés pour les recueils dont provient l'essentiel de ces textes, et n'ont pas été relus : c'est pourquoi on trouve à deux reprises des considérations sur les univers partagés, propos que l'on trouvera à nouveau dans le recueil chez Folio. C'est un peu lassant.
Les thèmes récurrents sont les voyages temporels et les uchronies basées sur les périodes historiques préférées de l'auteur : Rome (avec une nouvelle appartenant au cycle Romae æterna), Byzance, les empires d'une manière générale et les grands conquérants de l'Antiquité. Ainsi, une fréquence radio met un linguiste en relation avec un univers parallèle où Genghis Khan, enlevé et élevé par les chrétiens, ne devient le sanguinaire qu'on sait que grâce à ses conseils (« Le Sommeil et l'oubli »). Ailleurs, des voyageurs temporels vendent dans le passé des objets très convoités (« La Venue de l'empire »). L'informatique, que Silverberg ne goûte guère, permet de créer des entités virtuelles très proches de leurs modèles historiques, ce qui génère une passionnante discussion entre Socrate et Pizarre (« Entre un soldat, puis un autre »).
On se déplace donc davantage dans le temps que dans l'espace, même si l'on trouve ça et là des extraterrestres, envahisseurs wellsiens ici décrits par Henri James, pacifistes venus éviter une guerre nucléaire (« Tombouctou, à l'heure du lion »), ou occupants d'une zone des USA que des humains fréquentent toutefois (« La Route de Spectre city », un très beau texte sur la tolérance et l'altérité).
Quelques rares nouvelles renouent avec la surprise et l'étonnement propres à la S-F : « Le Deuxième Bouclier » met en scène un sculpteur qui concrétise ses rêves mais se trouve incapable de rêver sur commande la pièce qu'on attend de lui.
Les quatre novellas qui composent En un autre pays peuvent être considérées comme un complément à ce dernier recueil de « l'intégrale » (et on sait pourquoi…). Seule la première, au titre éponyme, où des voyageurs temporels assistent aux grands événements historiques, est une réédition. « Cache-cache » met en scène terriens et extraterrestres négociant avec une grande méfiance, « Ça chauffe à Magma city » présente des marginaux en voie de réhabilitation luttant contre des volcans dévastant la Californie avec leurs fleuves de lave, « L'Arbre dans le ciel » se déroule dans une société rurale frappée par l'apparition d'une comète dans le ciel, et où un extraterrestre vieillissant, prisonnier dans un labyrinthe, explique à un savant surdoué le moyen de réparer sa fusée.
Silverberg a du métier : ses histoires tiennent le lecteur en haleine. Aucune n'est cependant captivante, faute d'originalité, du moins d'idée forte. La prospective et le vertige spéculatif sont remplacés par le plaisir de spirituelles conversations au bord du chemin. Le guide de ces flâneries est des plus agréables, mais ses propos restent peu en mémoire. Bref, la passion n'est plus là. Restent le charme et l'élégance, la bonne compagnie d’un homme fort cultivé, et c'est déjà beaucoup.