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Les critiques de Bifrost

Étoiles, garde-à-vous !

Étoiles, garde-à-vous !

Robert A. HEINLEIN
J'AI LU
320pp - 6,00 €

Bifrost n° 8

Critique parue en mai 1998 dans Bifrost n° 8

Ceux qui se pencheront sur ce livre après avoir vu le film de Paul Verhoeven (Starship Troopers) risquent d'être surpris, déçus, choqués mais aussi admiratifs et intéressés… à titre documentaire.

Surpris, car le roman est somme toute assez différent du film : l'intrigue est resserrée autour de la formation militaire du fantassin Juan Rico et l'agressive civilisation arachnide n'apparaît que bien après ses armes. Ce n'est pas pour les combattre que Rico s'est engagé, mais bien par idéal !

Déçus, car les clins d'œil au second degré dont Verhoeven a truffé son film sont absents de cette ode au soldat (le roman est dédié « à tous les adjudants de tous les temps qui ont œuvré pour faire de jeunes garçons des hommes »).

Choqués, car ce roman initialement écrit pour la jeunesse distille au premier degré une idéologie suspecte et controversée, militariste voire fascisante. Les citoyens ordinaires ne sont pas vraiment des hommes, seuls les soldats, individus responsables pour qui l'idée de nation est prédominante, ont le droit de vote. L'éducation, pour être réussie, doit forcément être sévère, à condition qu'elle soit juste et que les châtiments soient appliqués sans état d'âme. Une idéologie qui ne détonne pas dans les années 50 (le livre est de 1959) mais qui dut surprendre les lecteurs français quand il fut traduit, en pleine période contestataire et antimilitariste, en 1974 (la presse spécialisée reste très silencieuse à son sujet alors que les critiques parleront plus tard de roman très contesté à sa sortie ! Dans les manifestations ! peut-être ?).

Admiratifs, car tout rétif et allergique qu'on puisse être devant les thèses défendues, on ne peut qu'apprécier l'étendue de la culture d'Heinlein, sa grande connaissance de l'art militaire et son art consommé de la narration qui sait rendre agréable cette lecture. Il n'en, est que plus dangereux car il lui est facile de communiquer ses convictions.

Intéressés, on l'est à ce titre. Heinlein n'affaiblit pas ses idées par des idées secondaires, ce qui lui permet de les mener jusqu'au bout et de faire parfois œuvre de visionnaire. En témoigne sa critique de la société de la fin du XXe siècle : « Les citoyens normaux (…) couraient le risque d'être attaqués par des bandes d'enfants armés de couteaux, de chaînes, de pistolets fabriqués à la maison. Le meurtre, la drogue, le viol et le vandalisme faisaient partie de la vie quotidienne. Dans les écoles, dans la rue aussi bien que dans les parcs. » Voilà une description assez précise de l'Amérique, bien avant les mouvements de contestation et le flower-power ! On cesse évidemment d'approuver l'auteur quand il préconise de remédier à cet état de fait par un châtiment juste, impliquant donc la souffrance (s'il n'y a pas souffrance, le châtiment n'est pas perçu comme tel), avant que les fautes ne deviennent trop graves, par une éducation à l'ancienne ensuite, sans « ces pseudo-scientifiques qui se donnaient le titre de psychopédiatres ou d'assistants sociaux ».

Une bien curieuse vision quand on sait qu'Henlein n'est pas seulement réductible à cette idéologie et qu'il a aussi écrit des livres généreux prêchant la tolérance et l'humanisme. Cette apparente contradiction est expliquée depuis longtemps : Heinlein est avant tout américain ! D'ailleurs, chassez la volonté de puissance, elle revient au galop ! On peut parier sans risque qu'il ne faudra pas attendre longtemps pour que sorte un jeu informatique adapté du film, un shoot them up d'enfer d'où sera absent tout second degré.

Claude ECKEN

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