Christopher PRIEST
DENOËL
240pp - 17,00 €
Critique parue en décembre 1999 dans Bifrost n° 16
Allegra Geller est une vedette du monde des jeux de réalité virtuelle, et quand son employeur, Antenna Research, organise une séance de test de son prochain produit, eXistenZ, les clients se bousculent pour profiter de l'essai gratuit. Hélas, parmi eux se glisse un terroriste qui en veut à la vie de Geller, et celle-ci, blessée, s'échappe en compagnie d'un vigile stagiaire, Ted Pikul. Commence alors une équipée bizarre, dans une campagne truffée de personnages inquiétants, puis dans la virtualité du jeu, car — explique Geller — il faut absolument jouer pour préserver la santé de la cellule de jeu, ordinateur organique unique et infiniment précieux.
On s'en doute, les niveaux emboîtés de réalité virtuelle vont finir par se brouiller, et la plongée (déjà passablement incontrôlée) du couple de protagonistes va virer au cauchemar. L'intérêt premier du film de Cronenberg ne réside pas à mon sens dans ce jeu sur le réel qui, pour n'être pas mal fait, ne surprendra pas le lecteur accoutumé à Philip Dick… ou même Christopher Priest ! Le sel du film réside plutôt dans l'usage de machinerie à base organique : les cellules de jeu construites à partir de systèmes nerveux de batraciens mutants, le pistolet du terroriste, assemblage d'os de rat qui tire des dents en guise de balles. L'effet est visuel avant tout, et Cronenberg est coutumier du procédé — voir Videodrome, un film de 1982 où intervenaient des ingrédients bien similaires. Et, comme dans Videodrome, une bonne partie de la tension du jeu (et du film) est sexuelle : Geller exerce sur Pikul une séduction qui tient à son physique et à sa notoriété, et la connexion au système informatique du jeu se fait par la pénétration d'un câble organique dans le bioport, un orifice ménagé à la base de la colonne vertébrale. Très efficaces en film, ces éléments passent moins bien par l'écrit.
L'écriture du roman du film est un exercice toujours périlleux, à cause du décalage entre les effets émotionnels produits par l'image et par le texte. Priest s'est ici attelé à la besogne avec application, mais sans transcender ce qui reste un descriptif minutieux du film, sans apporter de profondeur nouvelle. Lisible, mais je ne vois pas l'intérêt — mieux vaut voir le film, ou la cassette vidéo qui ne manquera pas de sortir. On se demande comment un écrivain du talent de Priest s'est fourvoyé dans cette entreprise — il faut croire qu'il avait besoin d'argent…