Stephen BAXTER
PRESSES DE LA CITÉ
540pp - 23,50 €
Critique parue en juillet 2007 dans Bifrost n° 47
Dans le premier volume, une secte très ancienne élevait les enfants à la façon d'une ruche, avec le but de créer une coalescence susceptible de devenir une structure sociale défiant le temps, même en l'absence de dirigeant. Le roman s'achevait vingt-cinq mille ans dans le futur, au cours d'une interminable guerre opposant les Humains aux Xeelees. Le second tome de cette tétralogie (que l'éditeur persiste à considérer comme une trilogie…) commence là où s'arrête le premier, dans l'espace, lors d'un combat où il est clairement admis que les jeunes recrues ne sont que de la chair à canon formatée pour mourir jeune. Une vie brève brille d'une lumière vive est leur devise. Les Xeelees sont d'autant plus difficiles à vaincre que, par la magie des déplacements plus rapides que la lumière, ils sont en mesure de connaître les manœuvres de l'adversaire avant que celui-ci ait arrêté son plan. Pirius a joué sur ces décalages temporels pour gagner la première bataille contre l'ennemi, mais se retrouve dans une ligne temporelle du passé, face à son double qui n'accomplira jamais cet acte de bravoure mais n'en sera pas moins puni, en même temps que son auteur, car les initiatives personnelles, mêmes victorieuses, sont contraires aux ordres. Pirius Bleu (celui du futur) est envoyé comme simple soldat sur un astéroïde où il subit un entraînement éreintant tandis que l'innocent Pirius Rouge est contraint d'accompagner le commissaire Nilis dans des missions loin du front. Il se rendra progressivement compte que ce châtiment est en réalité une aubaine permettant à l'humanité de prendre l'avantage dans la guerre contre les Xeelees, dont on ne sait rien, ni sur les vaisseaux ni sur la raison pour laquelle ils investissent Chandra, le gigantesque trou noir au centre de la galaxie, hormis le fait qu'ils semblent y puiser leur énergie…
Ce roman pourrait n'être qu'un space opera de grande envergure — ce qui est tout à fait honorable — racontant une guerre contre un ennemi hors norme. Au passage, Baxter nous régale avec sa débordante imagination, notamment concernant d'autres formes de vie comme les Qax ou les redoutables Fantômes d'Argent, qui ressemblent à des miroirs sphériques dont la peau ferait partie d'un autre univers, ou encore les quagmites, formes de vie primitives nées quand l'univers n'était encore qu'une soupe de quarks. Mais Baxter nous transporte bien plus loin…
Sa réflexion sur l'évolution se poursuit avec un tableau récapitulant les étapes de la formation de l'univers depuis le Big Bang, qu'il parvient à peupler avec de la vie dès le premier millionième de seconde ! Outre cette époustouflante démonstration, il réussit le tour de force d'expliquer par ce biais les énigmes restantes de l'astronomie ou de la mécanique quantique : la masse manquante de l'univers et la répartition de la matière visible par agrégats, la prépondérance de la matière sur l'anti-matière, la structure de la galaxie spirale et la proportion anormale de lithium dans l'univers… Le tout est assaisonné de réflexions philosophiques sur l'apparition de la vie ou la nature de l'univers et la relation au temps, Baxter passant d'une idée à l'autre avec une agilité empêchant son audacieux échafaudage de s'effondrer.
Les amateurs d'aventure et d'action sauteront sans peine ces passages qu'ils jugeront bavards, les autres resteront bouche bée devant la maestria avec laquelle Baxter suscite chez le lecteur de science-fiction ce fameux sense of wonder qui est la matière exotique de cette littérature. C'est un enchantement permanent et du grand art, vraiment !