Laurent GENEFORT, Pierre GRIMBERT, Richard CANAL, Noé GAILLARD, Pierre PELOT, Claude CASTAN, Jérémi SAUVAGE, G. Elton RANNE, Stéphane MARSAN, Michel PAGEL, Bernard WERBER, Mathieu GABORIT, Guy SIROIS, Valérie SIMON, Sabrina CALVO, Marie-Anne LE BA
FLEUVE NOIR
473pp -
En tant qu'amateur de fantasy, s'il est un livre que j'attendais avec une certaine impatience, et au moins autant de méfiance, c'est bien [licorne regarde à gauche] Fantasy [licorne regarde à droite], « dix-huit grands récits de merveilleux », l'anthologie d'Henri Lœvenbruck et Alain Névant.
La première impression que l'on a de cet ouvrage, si on oublie une couverture particulièrement laide (illustration de Jean-Jacques Chaubin sanctifiée par le logo le plus crétin de l'histoire de l'humanité « Fleu Ve Noir »), c'est son épaisseur : 470 pages. Dans lesquelles coexistent en paix une intro, 18 nouvelles ou novella, une postface, un dictionnaire des auteurs.
En supposant que les anthologistes aient placé les textes dans un ordre particulier (ce qui n'a rien d'évident), résistons à l'envie de commencer par le texte de David Calvo, sautons l'intro insipide et hissons les voiles.
Et c'est à Laurent Genefort qu'incombe la lourde tache d'ouvrir le feu. Son texte se nomme « Huldor ». Il part d'une idée assez marrante — un type défèque un crapaud et se demande bien pourquoi — pour finir en duel de magie abscons. Le tout, bien que convenablement écrit, s'avère sans le moindre intérêt. J'ai toujours entendu dire qu'il fallait commencer une antho par un des deux textes les plus forts de la sélection, et si possible la finir par le texte le plus fort. Espérons que dans ce cas précis « Huldor » ne soit pas un des deux meilleurs textes de l'ouvrage.
En seconde position, « Le Guerrier la Mort » de Pierre Grimbert nous emmène dans un énième combat contre la Faucheuse. Texte bien écrit mais qui laisse un goût amer de déjà-lu, d'inachevé. Là où l'auteur aurait pu nourrir son texte de philosophie, de culture, il se contente de jouer la triste carte de l'heroic fantasy. On nous sert une fois de plus le poncif du combattant qui prend la place (et donc la charge) de celui qu'il vient de battre ; on retrouvera cette thématique dans le texte de Valérie Simon.
Pour la suite, impossible de finir « Le souffleur de rêves », indigeste histoire de moines, d'anges et de monastère. Lisez plutôt Le Nom de la rose...
Et vient Pierre Pelot, peu connu pour sa fantasy, ou alors pour sa lamentable fantasy humoristique post-conanienne. Il nous sert ici un conte floral, « Le Long voyage de Soleil-Fleur et Griffue », qui, s'il n'est pas honteux, n'en est pas pour autant un chef-d'œuvre. Mineur.
Avec « Les Ogres blancs » de Claude Castan et Jérémi Sauvage, seules trois pages permettent de juger que le texte est d'une banalité atroce : on se gardera le droit de ne pas aller au-delà.
Pour ce qui est du texte de G.E. Ranne, le problème est différent. Le potentiel du texte est énorme, mais un traitement bordélique gâche cette trouvaille merveilleuse qui consistait à réécrire les grandes lignes du conte dans le Paris actuel, populaire et parfumé d'orient, peuplé de gosses des rues, de flics à l'affût et de dealers. Beau ratage, un auteur à suivre.
La nouvelle de Stéphane Marsan, « Les Vagabonds d'écume », est un gâchis considérable : sautes de rythme, passages intempestifs d'un temps de narration à un autre, problèmes de construction. Dommage, car développé ce texte aurait pu être un grand plaisir ; il porte en lui quelques images saisissantes et bénéficie par intermittence d'une écriture éblouissante, C'est plus un sujet de novella, de roman.
Jusqu'ici rien ne va et c'est bien Michel Pagel qui s'en tire le mieux avec son histoire de rébellion adolescente cousue de fil blanc où intervient un vrai-faux extraterrestre. Aucune grande idée, une démonstration carrément lourdingue, mais un texte sympa, du moins le plus maîtrisé à ce stade de la lecture.
Mais le retour en enfer est proche... Pleurez braves gens ! Pleurez pour tout ces arbres coupés afin de permettre au texte de Bernard Werber d'être imprimé en ces pages ! Pleurez ! À noter que l'auteur est coutumier du fait, il avait déjà pondu une bouse immonde dans l'anthologie Genèses d'Ayerdhal.
Malgré une belle trouvaille, le texte de Mathieu Gaborit souffre d'un amateurisme inacceptable. Celui de Guy Sirois ne laisse qu'un profond sentiment de déjà-lu et d'ennui. Quant à « L'Histoire de Razôrod le serpent », elle pâtit d'un scénario inepte même si une écriture et un ton prometteurs relèvent un peu la sauce. On ne tire pas sur l'ambulance, on a presque plus de cartouches.
Et voilà qu'arrivé le texte de David Calvo : « John Frog ». Inutile de mentir, il s'agit d'une perle, inventive, enlevée. Une réussite majeure peuplée d'êtres étranges, avec ce petit goût de cirque à la Beetlejuice qui fait immanquablement penser à Tim Burton.
Suit une petite nouvelle de Marie-Anne Le Barbier, qui aurait pu rester dans son enveloppe timbrée. Ça aurait épargné quelques arbres supplémentaires. Rien de scandaleux, juste un texte inutile.
Puis vient le texte le plus long de la sélection, « Le dragon des brumes » de Thomas Day. Un texte long, oui, long et ambitieux, où se trouve revisité le mythe du Loch Ness sur fond de paganisme dans une Écosse du Xlle siècle. Un conte initiatique (il ne s'agit en fait de rien d'autre) à l'écriture travaillée, trop parfois, qui, même s'il souffre de certaines longueurs et incohérences, n'en reste pas moins l'un des projets les plus intéressants de l'anthologie. Un bel effort qui aurait mérité un véritable encadrement éditorial.
Après l'Écosse s'impose le monde délirant d'Eric Boissau. C'est de la fantasy humoristico-bordélique, du sous-Pratchett évidemment, mais l'ensemble laisse présager que Boissau a un grand talent. Un auteur à suivre et à guider.
On ne dira pas de mal du texte de Jeanne Faivre d'Arcier, ce serait faire trop d'honneur à cette connerie extrêmement mal écrite — lisez plutôt un bon ouvrage sur le Tibet.
Quant au texte de Fabrice Colin qui clôt l'anthologie, « Naufrage mode d'emploi », il nous narre la souffrance d'un auteur obligé d'écrire un roman historique sur la famine de la pomme de terre en Irlande, plutôt que de la fantasy. On est loin de la maîtrise nécessaire pour réussir parfaitement un tel texte, mais le résultat est sans aucun doute dans le trio de tête. C'est léger, inventif, et diablement intelligent.
Reste qu'il faudrait trente pages, ni plus ni moins, pour rendre compte de la nullité de la postface d'Henri Lœvenbruck et Alain Névant. Je n'ai pas ces trente pages et le rédac-chef, auto-promotion oblige, me murmure qu'il y a de très bons articles sur la fantasy dans Fées & Gestes, Bifrost n°9 et Dossier fantasy...
Voilà donc une anthologie dont la moitié, aisément, aurait pu nous être épargné, et qui réserve néanmoins quelques bonnes surprises : Colin, Calvo, Boissau.
Une terrible déception qui vient prouver brillamment qu'à de rares exceptions près, il n'y a pas de culture fantasy chez les auteurs francophones et que ceux-ci sont donc incapables d'échapper aux poncifs du genre.
La vie est belle... Alors on s'autorise à rêver à ce qu'aurait pu être une belle anthologie de fantasy au « Fleu Ve Noir » : une introduction générale au genre, un choix de textes pointu, une introduction pour chacun des récits afin de le placer dans le contexte de la fantasy moderne et, en postface, un historique rigoureux, érudit, de la fantasy francophone.